Je pose mon crayon sur la pile de papier, je rallume ma pipe pour m'aider à réfléchir. Par la fenêtre se dressent les montagnes du Nord, solides et fières. Je m'apprête à décrire mon frère dans ce journal, pour mon roman. De fait, ce ne sera plus mon frère, mais une création de mon esprit, une représentation, une fiction. Il pourrait devenir n'importe qui ou n'importe quoi. Ou simplement ne plus être l’ostie d'alcoolique déraciné qu'il est devenu, condamné à boire jusqu'à la fin, qui arrivera plus vite comme ça, je suppose. C'est bien ce qu'il doit penser aussi, avec raison. Mais quoi? C'est mon frère, mon sang, malgré tout. On est nés de la même terre peu fertile, où quelques graines seulement peuvent croître : l'alcoolisme, la honte, la violence, la haine, la démence.