Onzième bagel
En sortant, je force un sourire en remerciant ma psy. Je ne suis pas prête à affronter le reste, mais il le faudra.
En sortant, je force un sourire en remerciant ma psy. Je ne suis pas prête à affronter le reste, mais il le faudra.
J’ai un pied dans la vie, l’autre dans ma tête. Si j’avais plus que deux pieds, j’en aurais un sur papier, un dans une autre vie imaginaire, un sur un autre continent.
Quand je pense à une descendance nombreuse, j’ai l’affiche de chez le vétérinaire en tête, celle en forme de pyramide, qui nous informe qu’il est important de faire stériliser nos chats. On y voit une chatte tout en haut, puis deux trois chats en dessous, puis dix, puis vingt.
Sa silhouette est pleine et ferme, la mienne immature et flasque. Malgré ses livres de plus, elle paraît svelte, dessinée. Je suis une fausse-mince-molle, une silhouette incertaine difficile à habiller, impossible à habiter.
Égoïste, lâche ou courageuse ? La seule certitude que j’ai, fin août, début septembre 2011, c’est que je ne veux pas mettre le pied dans l’univers des mamans. M’en tenir à l’écart est peut-être le seul pouvoir que j’ai d’être la femme que je veux et non celle que mon sexe ou mon époque me dictent.
On parle de Nelly, seulement d’elle et de sa disparition, dans cette fin d’après-midi où nos voix s’enveloppent d’un étrange écho. Nous ne sommes pas seules. Un spectre, assis avec nous dans la chaleur du cabinet, se demande qui l’interpelle ainsi.
Me ramancher sans l’aide de personne. Tentative de me fabriquer moi-même.
Résister à la tentation d’aller jogger jusqu’au fleuve n’est pas facile. Rester assise, une torture. C’est ce que la psy m’a demandé, pour éviter de continuer de perdre du poids. Rester assise après avoir mangé. Ses consignes ne font aucun sens, même si je sais que je dois les suivre.
La version idéale de moi dirait à F de rentrer chez lui. La version idéale de moi lirait un roman jusqu’à ce que ses yeux ferment tout seuls, irait fumer une cigarette sur la galerie en regardant briller la haute-ville au loin, écrirait un courriel à un être cher ; mais je suis tellement loin de cette femme-là.
J’éclate, me déverse. Des larmes étranges, primitives plongent. Je serai incapable de soulever la cuillère ni de rester à table.