Nouvelles

Regardant; regardé

Par |2017-08-02T14:54:31-05:002 août, 2017|Chloé Savoie-Bernard, En résidence, Nouvelles, Récit, Textes de création|

Au fond, c’est sans doute pour cela que la présence du coiffeur me dérange, me déplaît, ça en fait deux des comme nous dans un périmètre restreint, deux qui volons aux gens des petits bouts, qui en nourrissons nos desseins étranges, dont le sens nous échappe. Car je ne sais pas ce que je fais de ces vies que j’accumule, que je collectionne. Pourtant, j’ai la conviction que ces vies me définissent.

De racines et de cris

Par |2017-07-26T20:15:31-05:0026 juillet, 2017|Nouvelles, Textes de création|

Pendant les quatre premières années de mon existence, je m’arrachais les cheveux et les mangeais, un à un. Je m’assoyais dans le coin du salon, loin des jouets auxquels je ne touchais jamais, et j’arrachais tout. Toute la journée, je glissais les doigts sur mon crâne et laissais tomber sur moi les cris de maman. Papa, les mains autour de la tasse de café refroidie, me parle des réprimandes. Il me dit ne pas avoir su quoi faire toutes ces années. Alors il me disputait. Quatre ans, pas un cheveu.

Encore une fois, les animaux morts

Par |2017-07-05T08:08:42-05:005 juillet, 2017|Chloé Savoie-Bernard, En résidence, Nouvelles, Récit, Textes de création|

J’ai grandi, j’ai vieilli, un jour je suis partie de la maison familiale, j’ai emménagé dans un appartement avec beaucoup de colocataires mais aucun animal. Mais quelque mois plus tard, j’adoptais deux chattes que j’ai toujours. Je pense même souvent que ce sont mes enfants, je les appelle Mes filles. À vrai dire, je sens confusément que si je tombe enceinte, il y a plus de risque que j’accouche non pas de bébés enfants mais de chatons. Mon imagination ne dit pas si je les allaiterais ou pas; des petites dents de bébés chats, ça doit croquer durement les mamelons.

L’hameçon des enthéogènes

Par |2017-06-14T04:58:36-05:0014 juin, 2017|Nouvelles, Récit, Textes de création|

La terre rouge aux abords du sentier semblait vibrer, sa coloration devenir gazeuse et quitter la matière — jusqu’à flotter, s’illuminer. L’herbe, toute nue, ondoyait, éblouissante et électrifiée. Elle éclaboussait son environnement de sa couleur. Le vent devenait visible. Le bruit nageait dans l’atmosphère. J’ai vu un serpent bleu fluorescent se glisser entre les herbes et se faufiler entre les amoncellements de terre rouillée.

Les animaux morts, la vie domestique

Par |2019-03-05T00:26:40-05:007 juin, 2017|Chloé Savoie-Bernard, En résidence, Nouvelles, Textes de création|

Plus tôt, sur le chemin entre Montréal et la campagne, à chaque fois que j’avais vu un animal mort, tué par l’impact d’une voiture, échoué sur le bas-côté de l’autoroute, quelque chose dans mes viscères s’était noué. J’étais parvenue à identifier : un renard, deux ratons laveurs, au moins six marmottes, deux chats — un blanc, un roux. La plupart du temps, nous passions trop vite pour que je puisse savoir ce qui avait été écrasé. Je voyais de la fourrure, du sang séché. C’est tout.

Les nuisettes de ma grand-mère

Par |2017-04-24T09:01:59-05:003 mai, 2017|Chloé Savoie-Bernard, En résidence, Nouvelles, Textes de création|

Mes plus belles possessions sont ces robes-là et ces blouses-là, de ma grand-mère, en soie, que je porte encore, que je porte depuis presque dix ans. Les seules choses que j’ai eues d’elle, quand elle est morte, sont quelques vêtements, quelques nuisettes pour dormir, qui devaient être très amples, très larges sur son petit corps à elle, cent livres et des poussières, qui devaient être presque longues sur ses cinq pieds. Lorsque je les porte, j’ai l’impression que ces vêtements sur moi deviennent beaucoup plus sexualisant que sur elle, ils s’étirent, s’étriquent sur mes courbes, se retroussent sur mes jambes, ces robes et ces nuisettes qui peut-être en dévoilent plus qu’il ne le faudrait.

Derrière l’aquarium

Par |2017-04-15T09:33:36-05:0026 avril, 2017|Nouvelles, Textes de création|

Je crois deviner un pli sur ton front, une ligne d’arrêt, comment la traverser, sauter jusque dans tes yeux? Et briser la vitre de l’aquarium, libérer l’eau suspendue dans l’orage, trouver des mots pour inventer une île, une plage, du sable pour s’asseoir et regarder la tempête. La pluie commence à chanter et les mains ralentissent, certaines expressions se sont figées avec étonnement devant de nouveaux problèmes à régler, on n’a pas apporté de parapluie. Ton visage ne s’est pas crispé comme celui de l’homme de la table en biais. Tu connaissais l’orage avant qu’il ne se présente aux autres.

Ce qui se joue dehors

Par |2019-03-05T00:39:01-05:0012 avril, 2017|Concours, Dossiers thématiques, Nouvelles, Textes de création, Transmissions|

Dans la maison, ça crie, ça se tire à bout portant, ça se donne des claques au visage en hurlant, ça s’explose en menus morceaux. Ça saute de joie sur de la musique trépidante puis ça se tord de douleur en se tapant une overdose de drogue dure dans des rues qu’on ne connaît pas. Ça parle en plein de langues qu’on traduit sans rendre l’émotion de départ. Ça se chicane en se pointant des gros fusils n’importe où pendant que notre mère se met du vernis à ongles orange fluo. Quand elle se décore les mains, ça annonce l’éclosion d’un drame. Et pas à la télévision.