« Puis, mon livre achevé, je tire la barre, et laisse au lecteur le soin de l’opération ; addition, soustraction, peu importe : j’estime que ce n’est pas à moi de la faire. Tant pis pour le lecteur paresseux : j’en veux d’autres. Inquiéter, tel est mon rôle. Le public préfère toujours qu’on le rassure. Il en est dont c’est le métier. Il n’en est que trop . » – André Gide
L’œuvre d’art appelle à être reçue. Elle prend son sens dans cette complémentarité essentielle entre le créateur qui la met au jour et le récepteur qui la consomme, l’interprète, la fait résonner avec ses propres acquis et affects. Michel Tournier exprime cet apport du récepteur, en parlant du lecteur : « Un livre écrit, mais non lu, n’existe pas pleinement. Il ne possède qu’une demi-existence. […] A peine un livre s’est-il abattu sur un lecteur qu’il […] fleurit, s’épanouit, devient enfin ce qu’il est : un monde imaginaire foisonnant, où se mêlent […] les intentions de l’écrivain et les fantasmes du lecteur ». Ainsi, dans ce partage entre créateur et récepteur, une nouvelle œuvre se crée.
Ce constat nous a amenés à questionner le rapport du créateur à son récepteur. Livrant son œuvre au public, le créateur subit attentes, questionnements, découvertes. Où se place-t-il dans cet immense réseau? Entre les mains du consommateur pur à celles du critique, en passant par celles de l’analyste et du professionnel académique, l’œuvre prend et perd du sens, le créateur et son intention prennent et perdent de l’importance. La table ronde organisée dans le cadre du 80e Congrès de l’ACFAS en mai 2012 à Montréal visait à encourager l’échange de réflexions sur la pratique artistique qui, à l’époque qu’est la nôtre, subit moult transformations. L’œuvre existe en effet grâce à différents supports, en mode instantané ou permanent. Elle s’inscrit dans plusieurs contextes possibles. Et sa réception se voit accorder une place privilégiée, encouragée par un univers médiatique foisonnant.
En réunissant créateurs, chercheurs ainsi que chercheurs-créateurs et étudiants aux cycles supérieurs dont les intérêts concernent plusieurs formes d’art, nous avons interrogé la création et la réception des œuvres de manière large et selon des angles variés : le lien entre le créateur et les attentes, le rapport entre le lecteur-créateur et sa propre création, la relation entre le contexte et le texte, ou même la norme artistique, et plus encore. Ce dossier thématique souhaite présenter certaines propositions issues du colloque « Une complémentarité à définir : le rapport du créateur à son récepteur ».
Directeurs du dossier :
Alain BEAULIEU, professeur (Université Laval)
Cassie BÉRARD, doctorante (Université Laval)
Pierre-Luc LANDRY, doctorant (Université Laval)