C’était ma première charge de cours.
En marchant vers l’université, alors que je me rendais à la première séance, j’ai envoyé un selfie au garçon que j’aimais et à ma meilleure amie. Je leur montrais que j’étais habillée comme une adulte. Moi qui me fais demander mes cartes d’identité lorsque j’achète du vin à la SAQ, moi à qui on donne parfois dix-sept, dix-huit ans, j’allais enseigner à des jeunes adultes. Voilà qui me faisait paniquer. Robe et talons hauts, j’étais habillée comme une dame. Comme une professeure. Je me sentais un peu déguisée, un peu décalée. Assurément pas certaine du tout d’être à ma place dans ce nouveau rôle que j’endossais.
En m’assoyant devant mes vingt-deux étudiants, les mains tremblantes, je me suis dit que si je passais au travers de la lecture de mon plan de cours sans m’évanouir, sans trop bégayer, c’était gagné; ce serait le signe que je passerais, du même coup, au travers de la session sans trop chanceler. Ma première charge de cours et tout le monde me répétait à quel point j’étais chanceuse. Moi qui ai suivi des cours de création littéraire depuis mes seize ans, on me passait le flambeau : c’était à mon tour d’assister l’écriture des autres, à mon tour de donner un cours de création. Parfait pour moi qui n’aime pas trop parler : j’allais surtout entendre leurs voix.
Durant cette première séance, je ne suis pas évanouie, je n’ai pas vomi, je n’ai pas eu de blanc, et au fur et à mesure des semaines, j’ai pris un peu plus d’assurance. Les élèves également. Au début, ils n’osaient pas trop commenter les textes de leurs collègues, mais peu à peu, ils ont pris la parole. Se sont affirmés. Il y a eu un peu de chicane dans l’air, parfois. Des coups de gueule. Des élèves qui, en catimini, sont venus me dire qu’ils n’y arrivaient pas, que c’était difficile, et qui ont finalement terminé avec un A comme note finale.
Le cours était intitulé « Exploration des genres », et j’ai cherché à leur montrer qu’un genre littéraire était une notion flottante, qui se reconstruisait constamment selon les époques. Surtout, j’ai eu envie de leur montrer qu’ils avaient le droit de tout faire, de tout interroger, et que c’était là où se trouvait la littérature, dans le questionnement, le tâtonnement, les essais et les erreurs. Alors que s’accumulaient sur mon feed Facebook les commentaires de collègues qui relevaient des perles de correction qui soulignaient la bêtise de leurs étudiants, j’ai été touchée de voir mes élèves intelligents, travaillants, impliqués dans leurs travaux. Naïveté de professeure débutante, vous me direz. Peut-être. Sans doute, même. Cette candeur, peut-être que je la perdrai bien vite. Mais entre-temps, il me semble précieux de la cultiver, de l’entretenir. Ce que je fais aujourd’hui en vous invitant à lire les textes de ce dossier.
Chloé SAVOIE-BERNARD
Université de Montréal