Le présent dossier rassemble des textes de création littéraire qui jouent avec les conventions génériques. En plus de croiser différents genres dits canoniques comme le roman, la poésie et le théâtre, les participants proposent des œuvres hybrides mêlant la création verbale et visuelle, de manière à interroger non plus tant les frontières génériques que les frontières de la littérature elle-même. Ce dossier s’inscrit simultanément sous le signe de la « recherche-création » et de l’expérimentation artistique. D’une part, il vise à promouvoir une approche où la création se révèle indissociable d’une réflexion sur la littérature en général et sur l’acte d’écrire en particulier. Ce faisant, le dossier cherche d’autre part à renouveler les formes de l’expérience littéraire en réunissant des textes innovateurs, singuliers et déstabilisants, voire carrément subversifs.
Je le dis juste parce qu’on part bientôt de Véronique Voyer raconte un « midi ordinaire » de manière extraordinaire. La narration est poétisée à l’extrême, perdant en transparence, mais gagnant en signifiance et en profondeur. Comme l’indique le titre, les personnages de ce court récit partiront « bientôt », et se trouvent par conséquent à un carrefour temporel ingénieusement reproduit par un entre-deux générique.
Le narrateur d’Éloge de la solitude de Bobby A. Aubé erre dans le Vieux-Québec à la recherche de vérité et de beauté. Son parcours est l’occasion de réflexions philosophiques qui le conduisent à citer des essais, à insérer des fragments de poèmes, à se débattre avec un vide intérieur : « plus j’avançais, plus je prenais conscience que, malgré toute cette vie qui virevoltait autour, au fond de mon être rien ne bougeait ». Le mobile et l’immobile, la solitude et la foule, l’extériorité et l’intimité sont quelques-uns des motifs littéraires qui, dans ce texte, sont traités par une écriture successivement narrative, poétique et essayistique.
Athènes polyphonique de Styliani (Stella) Kokkali et Nicolaos Vlahakis retourne aux racines de la poésie grecque tout en innovant sur les plans thématique et stylistique. La distinction en actes souligne les différences vocales, tonales et génériques entre les deux parties. Au lyrisme lumineux de l’acte I succède en effet l’univers sombre et désenchanté de l’acte II. Quoique classique, de par sa facture, cette œuvre jumèle ainsi le lyrisme et le prosaïsme anti-lyrique, ces deux grands courants qui, à bien des égards, structurent une part de la production poétique contemporaine.
Mots cachés/mots trouvés de Meb est une œuvre singulière jouant sur la frontière entre la littérature et l’art visuel. « L’oiseau électrique », « Snowdon » et « Sortie » sont des montages photographiques dans lesquels les mots déroutent l’iconographie visuelle d’un quotidien montréalais. Les photographies « Houleusement », « Juillet », « Quelque chose de moins » et « Retard » prennent, quant à elles, l’allure d’une écriture à contrainte optique; cette dernière s’appuie sur des jeux d’apparitions et de disparitions verbales chargeant de nouvelles significations des objets autrement ordinaires.
Le dossier se clôt avec la Petite introduction à la masturbation de Guillaume Dufour Morin. Il est ardu de décrire cette « entreprise de détournement poétique didactique et de réécriture de la réglementation corporelle » (les mots sont de l’auteur!) sans souligner la dimension dialogique d’un texte à l’ironie déstabilisante. Simultanément, l’œuvre nous invite à la considérer comme un véritable guide d’introduction à la masturbation et répudie son caractère sérieux par un jeu de surenchère verbale et pédagogique. Le caractère double de cette œuvre, qui mêle les références classiques à une modernité trash et exacerbée, permet d’ailleurs de l’inscrire dans les esthétiques postmodernes.
Mathieu SIMARD
Directeur du dossier