[information]Ce texte a été rédigé dans le cadre du dossier « Écrire entre les genres » piloté par Mathieu Simard.[/information]
Le poisson au four, le riz cuit et le dessert en route. La cuisson est douce, lente. L’écran palpite, faut compter les sous. Surtout ne pas exagérer, pense au doctorat à naître. La communication administrative est grinçante, mes questions sans réponses, on ne sait pas quand, quoi ni combien, même pas un visa pour vivre légalement ici. Pour l’instant, rien. C’est l’attente de la migrante.
La nappe de plastique grise, la poussière de cigarettes, l’espace restreint, la course bruyante des mouches; c’est la fin du règne de l’appartement-cuisine où le loyer estival m’est offert gracieusement. Deux chambres font office d’annexe pour deux couples autour d’une cuisine-salle à manger-vestiaire : tout y est. La porte arrachée du salon dévoile une pièce presque vide où le divan fixe le mur, il a perdu son téléviseur hier. On déménage, c’est pour ça.
Ici, faut surveiller les produits frais. Les légumes reviennent de la campagne galicienne par le biais de la voiture du colocataire Il faut y voir avant la putréfaction car il oublie. Au retour d’Asie, les taches blanches poilues constellaient les piments verts et les fèves au fond du frigo, j’ai rien dit. On ne dit jamais rien à la progéniture du proprio. C’est comme ça la violence structurelle, ça nous soumet dans nos silences. Dans ma tête, mon papa a dit : « enlève le vert pis mange autour, c’est encore bon ». Je ne crois pas que j’aurais eu l’autorisation parentale pour vivre ici, c’est pour ça que j’ai rien demandé.
L’appart est froid malgré le four qui blanchit les filets de merluza. Le fond de l’air, l’automne, l’envie que le grand énervement recommence. Mais surtout, partir d’ici. Quitter le plancher gris de milles manières comme le flan d’une truite mouchetée, abandonner les murs ponctués de mouches mortes laissant des marques où se confondent le rouge et le noire, ne plus voir la salle de bain qui a mal au ventre, par en haut; les ronds noirs sur les ballonnements du plafond se multiplient, la chair du mur se déploie à travers la peinture. Nous partirons, la fuite est prévue : quatre personnes dans moins de 50 mètres carré, c’est trop.
La grosse face d’amour est en train de revenir. Sur le chemin – en camino – le téléphone demande s’il faut acheter de la farine pour le poisson. C’est non. Je ne frirai point dans l’huile. Fin de la communication. Je lui ai dit pour le pain juste avant, la barra de pan, pour pas que ce soit un oubli. J’attends. Entre deux cours de français, les boîtes s’entassent, ça va comme suit entre l’insulte et les mots de vocabulaire :
– Moi : Ta gueule vieux piment.
– Toi : Piment rouge. Dans le sofa, se dice dans le sofa, no ?
– Moi: Depende, es mejor decir sobre : sur le sofa.
– Toi : Ta gueule piment rouge sur le sofa.
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L’amour entre et quitte son pantalon d’un air grave. Ses dessous sont restés sur le lit pendant que son corps inconséquent s’agite et se douche au gymnase. Mon amour, c’est un être frivole toujours prêt à dégainer son short pour me confier ses oublis multiples. Devant moi, la planche à découper. Les assiettes passent de l’armoire à ses mains à la table. C’était juste un midi ordinaire.