Violaine Houdart-Merot et Christine Mongenot [dir.] Pratiques d'écriture littéraire à l'université Paris, Honoré Champion, coll. « Didactique des Lettres et des Cultures », 2013.
Faut-il parler de retour de l’apprentissage rhétorique ou encore de renouveau des études littéraires par la pratique active de l’écriture? L’écriture créative, affiliant un certain nombre de domaines apparentés, apprentissage de la création littéraire et du métier d’écrivain, didactique de l’écriture et théories de la production du texte, est un champ de recherche en émergence en France qui commence à se structurer de manière cohérente, grâce à l’action conjointe de plusieurs équipes de chercheurs, qui restaient pour l’instant isolées ((L’université de Cergy-Pontoise annonce ainsi un colloque international sur les liens entre recherche et création pour décembre 2015, en partenariat avec l’école nationale d’arts de Paris-Cergy. L’université d’Aix-Marseille a, d’autre part, engagé un séminaire interuniversitaire destiné à fédérer les actions convergentes de plusieurs universités françaises (http://atelierrecherche.canalblog.com). Voir également le Réseau des Pratiques d’écriture créative sur le site du CRTF.)). Quelques ouvrages témoignent déjà de cette tendance contemporaine, par exemple Pratiques d’écriture littéraire à l’université, publié à Paris chez Champion, dont il va être ici question, ou les actes du colloque de Cerisy dirigés par Claudette Oriol-Boyer et Daniel Bilous, Ateliers d’écriture littéraire (Hermann, 2013), dont il a déjà été fait état dans les lignes du Crachoir de Flaubert. Cette tendance pourrait d’ailleurs ne pas être limitée à l’espace francophone, mais concerner également les recherches en Creative Writing que nous voyons se fédérer sur le plan international, au moins sous l’aspect d’une histoire des programmes universitaires, dont une série d’essais se répondant les uns les autres a entrepris de tisser le fil (D.G. Myers, The Elephants Teach, [1996] 2006; Mark McGurl, The Program Era, 2009; Chad Harbach, MFA vs NYC, 2014).
L’ouvrage dirigé par Violaine Houdart-Merot et Christine Mongenot se présente donc comme le témoin d’un regain d’intérêt scientifique pour la question des ateliers d’écriture, objets jusqu’alors volontiers relégués en France comme « ateliers de loisirs » ((Voir : Jacqueline Lafont-Terranova, Se construire à l’école, comme sujet-écrivant : l’apport des ateliers d’écriture, Diptyque n° 15, PUN, Namur, 2009; Frédéric Chateigner, Une société littéraire : sociologie d’un atelier d’écriture, éditions du Croquant, Bellecombes-en-Bauges, 2008.)), écartés peu à peu de la sphère universitaire. Il se trouve qu’il accompagne la naissance depuis 2012 de cursus diplômants en création littéraire ((Masters des universités du Havre, de Toulouse et de Paris 8, bientôt rejoints par l’université de Cergy-Pontoise qui a ouvert un « diplôme universitaire » en 2013, destiné à se transformer en 2014 en parcours de création dans le master littéraire. Cf. Violaine Houdart-Merot, « L’écriture créative à l’université et ses nouveaux enjeux », en ligne : duecriture.canalblog.com. [Consulté le 1er février 2015].)), que le Québec connaît depuis bien plus longtemps que la France ((J’ai entrepris de répertorier les programmes québécois et d’enquêter sur leurs origines dans ma thèse, dirigée par Pr Houdart-Merot, « La littérature sur le métier. Étude comparée des pratiques créatives d’écriture littéraire dans les universités, en France, aux États-Unis et au Québec », Université de Cergy-Pontoise, novembre 2013.)). Le parti pris épistémologique est bien littéraire, mais il est possible de lui reconnaître une tournure didactique qui n’est pas étrangère à l’expérience d’enseignement des deux chercheuses qui dirigent cet ouvrage collectif et qui ont conduit une longue enquête interuniversitaire, dans les départements de lettres et de formation des enseignants, en amont de cette production éditoriale (enquête rapportée dans l’introduction, p. 7-37). Le souci de didactisation de l’enseignement littéraire universitaire peut donc se lire très clairement dans le projet de recherche engagé. Comment enseigner activement la littérature aujourd’hui, comment renier l’exclusive de la lecture dans les modes de rencontres du texte, comment ouvrir la liste close des exercices d’écriture académique (dissertation, commentaire, fiche de lecture) à des formes interrogeant de l’intérieur les processus d’écriture de la littérature?
Comme tout travail de recherche, le propos s’éclaire de perspectives heuristiques alimentées par des pratiques différentes qui n’en appellent pas à un mot d’ordre unique. Il est ainsi possible de lire dans les vingt-deux contributions de cette somme des positions qui accentuent cette tendance, et signent des cultures disciplinaires différentes. Quand l’enseignant de littérature rencontre le professeur en arts du spectacle, quand le poète rencontre le linguiste ou quand le sociologue rencontre le psychanalyste, la même interrogation de départ amène des réponses qui mobilisent des préoccupations et des vocabulaires disciplinaires différents. En l’occurrence, ils s’intercalent pour construire un propos en mosaïque encore peu entendu dans la sphère des études littéraires académiques. C’est sans doute une des avancées majeures de ce travail universitaire que de tracer une voie de convergences disciplinaires dans le champ des études littéraires qui a plutôt tendance à faire reconnaître ses frontières. Cette synergie nouvelle déclare un souci explicite d’engagement des étudiants dans des pratiques de la littérature plus vivantes et investies. Les implications éthiques et axiologiques des pratiques littéraires créatives reviennent d’ailleurs comme une ligne directrice au fil des chapitres (Loty et Morel, p. 209-226; Molina, p. 387-401). Le fait littéraire finit par y être examiné d’une manière particulière qui en appelle à une théorisation critique originale, se référant en particulier aux autres arts : chœurs théâtraux des écoutants (Heulot-Petit, p. 189-208) ou « divertissements musicaux » dignes des improvisations des membres de l’École de Genève (Poitry, p. 161-171). Les nombreuses références à Roland Barthes, répertoriées dans le très utile index nominum, en témoignent : les pratiques d’écriture examinées par les contributeurs de cet ouvrage recherchent fructueusement des voies de théorisation du « texte scriptible » décrit dans S / Z, que Violaine Houdart-Merot cite, en glorieuse égide du travail collectif mené :« Pourquoi le scriptible est-il notre valeur? Parce que l’enjeu du travail littéraire (de la littérature comme travail), c’est de faire du lecteur, non plus un consommateur, mais un producteur de texte (p. 55) ».
Le plan de l’ouvrage s’articule en quatre parties aux titres explicites :
La première, « Les universités françaises : contexte historique, théorique et institutionnel », dresse un panorama des ateliers d’écriture en secteur universitaire, parfaitement étayé historiquement grâce aux contributions de Violaine Houdart-Merot, « La lente émergence des ateliers d’écriture dans les universités françaises : histoire et fondements », et de Corine Robet, « Pour un historique des ateliers d’écriture à l’université d’Aix-en-Provence (1968-2010) ». Il devient impossible, après leur lecture, d’ignorer les racines d’un mouvement qui n’est pas né avec les années 2000, même si l’augmentation des pratiques créatives est confirmée à cette date dans l’enquête initiale. Le panorama est amené dès lors à être identifié comme une manière française qui a sa valeur propre et ses référents privilégiés, mais qui n’a cessé de jouer du divers, voire de l’hétéroclite, comme en témoignent finalement les trois contributions suivantes : dans « Place et fonctions de l’écriture littéraire dans un cursus universitaire », Carole Bisenius-Penin, qui se réfère en outre à sa propre expérience d’ateliers oulipiens, fait le lien entre école et université, en montrant les enjeux de pratiques de fait foisonnantes et dont elle cherche à trouver une unité d’objectifs sur un mode prospectif; Frédéric Chateigner, dans « Écriture ou culture ? La place des ateliers d’écriture dans la catégorie d’action culturelle universitaire », rapporte, quant à lui, la place traditionnellement instable réservée aux ateliers d’écriture, fût-ce dans les services culturels des universités. Enfin, la contribution de Claudette Oriol-Boyer, « Place et fonctions de l’écriture littéraire dans un cursus universitaire », permet de mesurer sur quels repères linguistiques un grand nom de la tradition française des ateliers d’écriture élabore son approche et comment elle a contribué à bâtir, au cours de son parcours, la légitimité universitaire de ces pratiques, qui s’avèrent marginalisées quand elles ne sont pas secondées par une armature théorique.
La deuxième partie, « Regarder ailleurs : des pratiques d’écriture littéraire à l’étranger », a le mérite de ne pas isoler le cas français, comme il est habituel pour les ouvrages qui traitent des ateliers d’écriture et dont on trouvera une bibliographie classée en fin d’ouvrage. Elle regroupe cinq contributions qui invitent aux comparaisons internationales : « L’exemple américain : l’intégration du Creative Writing dans les programmes universitaires aux États-Unis » par AMarie Petitjean; « Le cas de l’université Laval au Québec : la création littéraire en milieu universitaire » par Alain Beaulieu; « Essai d’analyse d’une expérience brésilienne » par Amilcar Bettega; « Aix-Leipzig-Cergy : un regard en arrière et en avant » par Anne Roche; et « L’écriture littéraire à l’université de Genève : essai d’archéologie » par Guy Poitry. « La diffusion géographique du concept » (Roche, p. 155) est manifeste et en appelle à une cartographie plus conséquente qui permettrait d’identifier l’implantation planétaire d’un mode de formation qui est encore loin de s’être reconnu lui-même. Les contributions permettent déjà de reconnaître comment chaque culture nationale peut naturaliser des formes, inévitablement combattives et réformatrices, d’enseignement de l’écriture de la littérature. Liées à des politiques institutionnelles aux implications professionnelles évidentes, autant qu’à des postures militantes qui cherchent les moyens de rompre leur isolement, ces formes d’enseignement se déploient, différemment selon les contextes, en cursus complets (Petitjean, p. 123-135; Beaulieu, p. 137-144) ou en programmes isolés (Poitry, p. 161-171) parfois fédérés en écoles d’écriture (le Writers Worshop d’Iowa, Petitjean; l’Atelier de la PUC au Brésil, Bettega, p. 145-154) ou qui cherchent les voies de rapprochements internationaux (Roche, p. 155-159).
La troisième partie, « Expériences françaises et pluralité des approches », regroupe huit retours d’expériences qui n’ont pas un simple but d’illustration, mais engagent des analyses originales par des enseignants qui ont chacun trouvé les moyens de mettre en œuvre ces « pratiques créatives » dans des contextes d’enseignement qui ne les auraient sans doute pas prévus sans eux : « Ateliers d’écriture / ateliers de créativité littéraire : retours sur une pratique » par Annie Pibarot; « Écrire des monologues : restitution et mise en perspective d’une expérience universitaire » par Françoise Heulot-Petit; « Écrire des fictions utopiques et juridiques : le programme international “alterréalisme” » par Laurent Loty et Anne-Rozenn Morel; « Biographie d’auteur imaginaire en master : entre écriture littéraire et écriture critique » par Nicole Biagioli; « Ateliers en licence et en master : de l’écriture littéraire de la critique à la découverte du texte » par Christine Mongenot; « Ateliers d’écriture à partir d’images pour la formation d’enseignants » par Christine Plu; « Vertus avérées et escomptées de la “twittérature” » par Hans Hartje; « Expériences d’écriture poétique à l’écoute d’Henry Meschonnic » par Alexandre Eyriès. Le panel qui se dessine ainsi ne se veut sans doute pas emblématique du paysage français – l’ambition d’une description exhaustive est réservée à l’enquête présentée en introduction –, mais nous constatons qu’il résiste singulièrement au classement selon les « sept courants » qu’Isabelle Rossignol décelait en 1996 dans sa thèse sur les ateliers d’écriture français((Isabelle Rossignol, L’invention des ateliers d’écriture en France, analyse comparative de sept courants clés, L’Harmattan, 1996.)). Les approches ont tendance à ne pas se désigner selon des courants théoriques homogènes, et il est tentant de relever l’évolution des ateliers d’écriture et leur mutation profonde dans une époque a-théorique qui se méfie des courants idéologiques tout en aspirant aux innovations pédagogiques. Des distinctions se dessinent pourtant, d’abord en termes de genres et de types d’écrits produits, depuis la biographie fictionnelle (Biagioli, p. 227-242), la fiction utopique (Loty et Morel, p. 209-226), la revue critique de textes mal aimés (Mongenot, p. 243-274), jusqu’au monologue théâtral (Heulot-Petit, p. 189-207) ou l’exercice de « twittérature » (Hartje, p. 295-303). La variété manifeste de ces entrées génériques invite à penser qu’il ne s’agit pas seulement de l’ouverture d’une gamme d’exercices scolaires, mais que l’attachement au processus d’écriture littéraire nécessite de rendre compte, dans l’espace universitaire, de la boulimie de la création contemporaine en matière d’innovation générique. Les descriptions des ateliers menés permettent également de marquer une frontière entre ce qui se déclare comme une expérimentation pédagogique, profitant d’un partenariat (Plu, p. 275-294) ou d’une rencontre avec une forme littéraire novatrice (Hartje), et ce qui relève d’un lent travail de maturation pédagogique (Biagioli, Pibarot, Eyriès…). L’atelier ne se décrit alors plus dans les mêmes termes et, à la désignation de consignes ou à l’analyse des écrits produits, se substituent le souci des phases de progression de l’atelier sur le temps long de la maturation littéraire, et encore celui de la nature des retours exercés sur les textes, ou celui des critères d’évaluation de la créativité littéraire. Le lecteur, glaneur d’idées, en sort enrichi de mille propositions et convaincu que la « didactique un peu aventureuse » qui taraude Christine Mongenot en point d’orgue de sa présentation est assurément plus stimulante qu’aucune autre.
La quatrième partie, « Le retour sur le texte : quels enjeux pour le scripteur et pour l’animateur? », s’intéresse plus étroitement aux relations que les pratiques créatives peuvent entretenir avec la conception du littéraire. Les quatre contributions successives (« Écrire pour lire Le Roman de la rose et Le Tiers livre » par Patrick Joole; « Atelier d’écriture-réécriture et génétique textuelle : le scripteur face à son texte » par Jacqueline Lafont-Terranova; « Les “retours” écrits de l’animateur sur les textes produits en atelier : principes et effets » par Michèle Monte et Corine Robet; « Éthique de l’animateur d’atelier d’écriture et désir d’écrire » par Simone Molina) se donnent l’ambition de dépasser le seul recueil d’expériences pour atteindre un niveau de formalisation théorique qui occupe des territoires différents bien identifiables (littérature, didactique, psychanalyse…), mais qui assignent pourtant moins des places disciplinaires respectives qu’ils ne trouvent à plusieurs reprises des points de rencontre. C’est d’ailleurs cette question de « la place » qui vient clore l’ouvrage dans l’article de Simone Molina. Trouvant dans le statut même de la langue le point nodal entre « le Sujet et le collectif », cette clausule nous invite subrepticement à interroger toute l’histoire en marche dont témoigne cet ouvrage, comme une histoire de place… une place assignée bien frileusement dans l’institution universitaire française à la création littéraire en effervescence, porteuse de compétences réflexives et grosse de promesses génératives.
Étape importante dans l’identification, par la recherche universitaire française, d’un angle mort des études littéraires qui, assurément, évolue en terrain à privilégier d’urgence pour la sauvegarde des formations littéraires, cet ouvrage fait certainement entendre, pour un lecteur canadien, la prudence de son titre : si l’université française a du mal à ne pas abandonner au secteur des loisirs la dénomination traditionnelle « atelier d’écriture », elle a encore autant de mal à épouser gaillardement pour ses cursus les dénominations « écriture créative » ou « création littéraire », à l’américaine.
[heading style= »subheader »]Bibliographie[/heading]
HARBACH, Chad [ed.], MFA vs NYC, New York : n+1/ Faber and Faber, 2014.
HOUDART-MEROT, Violaine et Christine MONGENOT [dir.], Pratiques d’écriture littéraire à l’université, Paris, Honoré Champion, Collection « Didactique des Lettres et des Cultures », 2013.
LIÉGAUX-PETITJEAN, AMarie, « La littérature sur le métier. Étude comparée des pratiques créatives d’écriture littéraire dans les universités, en France, aux États-Unis et au Québec », thèse de doctorat en Littérature française et Littératures comparées, Université de Cergy-Pontoise, novembre 2013.
McGURL, Mark, The Program Era : postwar fiction and the rise of creative writing, Cambridge (Mass.); London: Harvard University Press, 2009. MYERS, Douglas G, The Elephants Teach : creative writing since 1880, Prentice Hall, 2006 [1996].
ORIOL-BOYER, Claudette et Daniel BILOUS [dir.], Ateliers d’écriture littéraire, Paris, Hermann, 2013.