Ce texte a été écrit dans le cadre du colloque « Portrait de l’artiste en intellectuel: enjeux, dangers, questionnements », qui a eu lieu les 26 et 27 octobre 2012, à l’Université Laval.

 

Notre équipe était qualifiée d’ « intellectuelle ». Visiblement, ce n’était pas un compliment.

– Clément de Gaulejac, Grande École

 

Dans ses Mythologies, Barthes écrit la chose suivante :

On connaît la scie : trop d’intelligence nuit, la philosophie est un jargon inutile, il faut réserver la place du sentiment, de l’intuition, de l’innocence, de la simplicité, l’art meurt de trop d’intellectualité, l’intelligence n’est pas une qualité d’artiste, les créateurs puissants sont des empiriques, l’œuvre d’art échappe au système, en bref la cérébralité est stérile. On sait que la guerre contre l’intelligence se mène toujours au nom du bon sens (1957 : 105).

Cinquante-cinq ans nous séparent de ce texte, mais il ne pourrait être plus d’actualité. Le gros bon sens sert maintenant à vendre des voitures, il commente l’actualité politique et se mêle de l’éducation des enfants; à ses fondements rampent toujours une haine et une peur profondes de la chose intellectuelle. La dictature du plaisir, notamment dénoncée par Mathieu Bélisle dans son texte « Pourquoi la critique littéraire se porte mal », est productrice elle aussi d’un discours anti-intellectuel de plus en plus affirmé et qui n’épargne pas la littérature. Alors que la critique reprochait à certaines œuvres d’être trop écrites, elle en arrive maintenant à dire, écrit Bélisle, que « la bonne littérature, la seule, la vraie, “peu importe de quel genre elle est”, c’est la littérature qui fait du bien, un peu comme le grilled cheese après la journée de ski » (2010 : 62). Bélisle pose dans son texte la question suivante, en reprenant certains propos tenus par Jean Barbe lors d’un entretien à la Première chaîne de Radio-Canada : « Et si la littérature […] était non pas “une potion contre la solitude” mais le lieu du silence et de la solitude pleinement vécus, non pas “une pilule contre le mal à l’âme” mais le lieu même de l’inquiétude, l’un des derniers domaines où les questions demeurent sans réponse? » (2010 : 62) On voit bien que deux visions de la littérature s’opposent là. Jean-Pierre Bertrand, Denis Saint-Amand et Valérie Stiénon, à la suite de Pierre Bourdieu, s’en remettent à l’idée que « le champ littéraire est un espace de lutte. À ce titre, la querelle fait partie intégrante de la condition d’homme de lettres : au vrai, elle semble même constituer la réalisation la plus manifeste des relations oppositionnelles qui dynamisent le champ littéraire dans la lutte pour les profits symboliques et matériels » (2012 : 1). Dans le cas qui nous intéresse ici, c’est-à-dire l’opposition entre deux visions de la littérature, l’une presque utilitaire, courbée vers le plaisir, et l’autre plus gratuite et restreinte à la fois, davantage cérébrale, il n’y a pas querelle à proprement parler mais bien plutôt controverse :

la controverse relève du débat d’idées et tient à […] l’échange d’arguments entre intellectuels tel que le mobilisait la disputatio médiévale. […] [En outre,] la controverse […] n’est pas portée par la nécessité du consensus […], elle constitue un moteur de changement participant de la dynamique épistémologique des sciences […]. La controverse représente donc une forme autonome de production du savoir (2012 : 3-4).

C’est ce que nous allons éprouver ici, dans l’espoir que cela sera porteur.

Ce texte, s’il s’intéresse nécessairement à la controverse parce qu’il en émerge et y participe, se concentrera davantage sur un corolaire à la dispute, ce que j’appellerai, à la suite de Pierre Jourde, le « totalitarisme théorique ». Jourde utilise l’expression pour dénoncer ce qui lui semble être une pratique hégémonique, c’est-à-dire celle de l’autofiction :

[Il déplore] cette curieuse manière qu’ont certains autofictionneurs de considérer que le genre qu’ils illustrent est désormais le seul genre intéressant, vivant, que l’imagination est dépassée, incapable de représenter la réalité contemporaine. Hors de l’autofiction, point de salut ou vous êtes un littérateur obsolète. On ne peut pas se contenter d’exister, il faudrait encore que les autres n’existent pas (2012 : en ligne).

Jourde dénonce donc le totalitarisme théorique des écrivains d’autofiction, mais pour ce faire, il utilise plusieurs termes connotés négativement, comme « foutoir », « navrants écriveurs », « formes accablantes », « automachinchoses » et « autobidule ». On croit à tort que les artistes et les intellectuels sont immunisés contre les totalitarismes et les dogmatismes. Il n’en est rien. Dans La Pratique du roman, une série de réflexions sur l’art romanesque recueillies par Isabelle Daunais et François Ricard, on prend toute la mesure de ce mal qui afflige certains écrivains. Par exemple, Dominique Fortier s’y défend bien de mépriser l’autofiction mais, dans l’addendum de son texte, déprécie joliment les écritures de soi en expliquant qu’elle ne s’y intéresse « que médiocrement » (2012 : 19). Elle se pose contre une « dictature du réel » et une « dictature de l’émotion » (2012 : 20) en proposant, presque, une dictature de la fiction. S’agit-il de mauvaise foi? D’aveuglement? Il y a là une joute verbale délirante entre deux discours dominants, entre deux manifestations de ce que les études culturelles appelleraient des standard narratives. Qui remportera la joute : les écritures de soi ou les littératures de l’imaginaire? La question n’est pas intéressante. Il s’agit d’une autre controverse, et mon objectif n’est certainement pas de régler le cas de ces deux disputes.

J’aimerais en effet réfléchir à la mouvance anti-intellectuelle qui a insidieusement fait son entrée dans les universités. J’en veux pour preuve les intervenants du milieu universitaire qui dénoncent par exemple le roman étudiant, comme l’a appelé Cassie Bérard à la suite de François Ricard dans un texte paru ici-même, dans les pages virtuelles du Crachoir, et le taxent d’être trop cérébral. On reproche à certains créateurs en milieu universitaire de flirter avec les théories et de produire ainsi une littérature qui leur serait étrangère; il se trouve en effet des intervenants prêts à défendre une littérature basée uniquement sur le plaisir de la lecture. Serait-il possible, toutefois, d’imaginer une posture réunissant les deux extrêmes, c’est-à-dire une posture de chercheur, d’écrivain, d’étudiant, de professeur, etc. ­– aussi légitime dans ses ambitions et littéraires et intellectuelles? M’est avis que oui. Et que l’université, en tant que terrain de jeu, espace de formation, lieu de discussions et d’apprentissage, est l’endroit idéal pour la pleine expression de ce type de recherche-création, chose hybride, étrange, à mi-chemin entre ceci et cela, entre recherche et création, entre écriture et réflexion, entre réflexion et création, etc. Il me semble qu’une certaine littérature intellectuelle est possible, surtout à l’université bien qu’elle n’y soit pas exclusive, et qu’il serait malsain de tenter de la décourager sous prétexte qu’on l’admire mais qu’on ne l’aime pas, sous prétexte qu’elle est trop cérébrale ­– qu’est-ce que cela veut dire, après tout?

C’est cette attitude que je considère comme totalitaire, bien qu’elle ne soit pas particulièrement théorique puisqu’elle refuse d’avoir quelque rapport que ce soit avec la théorie. Bien sûr, cette posture n’est pas exclusive à l’université. Elle y existe, certes, mais survit très bien (trop bien) à l’extérieur de ses murs. Tout récemment, dans un journal brésilien, Paolo Coelho, auteur de L’Alchimiste, a chargé la littérature dite moderne en écorchant au passage le Ulysses de James Joyce, le qualifiant d’ « idiotie », disant que ce type de roman était « nocif » et « néfaste » pour la littérature. Coelho se considère comme « résolument moderne », même si « son écriture n’a […] rien d’expérimental ». Il persiste en disant que « sa modernité résid[e] […] dans sa capacité à rendre accessible ce qui à priori peut sembler complexe » (Helmlinger, 2012 : en ligne). Que Coelho ne se reconnaisse pas dans la littérature de James Joyce, cela n’a rien de bien étonnant. Ce qui surprend et dérange le plus dans cette altercation à sens unique, c’est le sous-entendu anti-intellectuel; si Ulysses est néfaste pour la littérature, c’est parce qu’il réfléchit trop. C’est parce qu’il déroge du modèle traditionnel, du discours romanesque dominant. On pourrait pousser l’interprétation et la lecture jusqu’à dire que, pour Coelho peut-être, c’est la cérébralité qui menacerait la littérature. Pourtant, les penseurs qui annoncent la mort de celle-ci ­– notamment Alain Nadaud et Henri Raczymow ­– estiment qu’avec Sartre s’est éteint le dernier grand écrivain. Néanmoins, les critiques sont nombreux à considérer Sartre comme un mauvais romancier; s’il était le dernier grand écrivain, que reste-t-il alors de la littérature, aujourd’hui? Faudrait-il penser, à l’instar de Richard Millet, que le littéraire ne pourrait s’épanouir désormais que dans ce qui n’est pas romanesque? Là n’est pas la question, parce que s’il fallait faire monter dans l’arène le délicat sujet de la hiérarchie supposée entre les genres littéraires, nous en aurions pour des siècles à épiloguer. Il y a quand même un drôle de paradoxe dans tout cela, puisqu’on sait que Sartre était du genre à réfléchir beaucoup – même dans ses romans, prenons La Nausée comme exemple –, tout comme ces autres que l’on considère de grands écrivains : Voltaire, Hugo, Zola, etc. Qu’est-ce à dire, donc? Qu’il n’y aurait de véritable littérature, de bonne littérature, que celle qui procure émotion par-dessus émotion, identification narcissique et catharsis? Pierre Samson, dans sa correspondance avec Bertrand Laverdure, écrit ces mots tranchants, que je me permets de recopier ici :

J’en ai plein mon casque de certaines personnes bien intentionnées qui évoquent le chargement d’émotions que la littérature leur livre à chaque lecture. Écrire, c’est d’abord et avant tout une entreprise intellectuelle. Lâchez-nous les jarrets avec vos émois de matantes. C’est vrai, ils sont comme des chihuahuas qui ne lâchent pas prise avec leur braillage obligé (2012 : 203).

J’écris les romans que j’aimerais lire, c’est-à-dire qui traitent le lecteur comme une créature dotée d’un cerveau performant et d’un réel pouvoir de création. Celui qui saisit mon livre et le déchiffre crée. Une lecture. Il n’est pas une grosse patate écrasée devant un Harlequin ou une œuvre à la mode qui en adopte LA recette : donner ce qui est attendu sans causer une commotion au niveau des synapses (2012 : 291).

On a donc d’un côté un écrivain de littérature grand public et un écrivain du champ restreint qui se considèrent mutuellement « néfastes et idiots » ou encore comme des « chihuahuas qui braillent comme des matantes ». Le portrait est reluisant.

Luc Lang, dans un essai intitulé Délit de fiction, est un peu plus nuancé. Pour lui, la réflexion, l’aventure intellectuelle, doit avoir lieu après la création, après le roman. Il écrit ceci :

le roman comme la danse doivent s’interdire de penser, de se penser, de se réfléchir, de se théoriser à l’intérieur de leur mouvement, sous peine d’entraver, de désunir, ou de briser leurs gestes jusqu’à la chute du texte, ou du danseur qui ne peut jamais commenter ses figures dans le temps où il les exécute, puisque ce temps est une intensité, et que l’enchaînement de ses gestes participe de l’indécomposable fusion d’une durée et d’une vitesse. […] Ce qui n’interdit pas au roman de devenir à son tour un objet d’analyse dans l’extériorité de son espace. Mais il le sera après avoir été traversé, éprouvé, avec ses personnages, leur histoire, et l’écriture qui les fait advenir. Ce sera enfin parler de la nage après s’être laissé emporter dans le fleuve, et non en restant sur la rive, bardé d’un savoir inerte (2011 : 101-102).

La comparaison avec la danse est particulièrement intéressante. Il est vrai qu’on imagine mal un danseur qui réfléchit à ses mouvements en même temps qu’il les effectue; de la même manière, donc, l’écriture romanesque devrait précéder la réflexion. Mais le saut de biche réussi s’effectue après de nombreuses heures de pratique, tout comme l’écriture du roman nécessite une préparation. Néanmoins, on ne saute pas dans les airs, aussi difficile soit le saut de biche, comme on écrit un livre. La chorégraphie servirait mieux l’analogie, afin de parler d’une œuvre romanesque achevée. Ne faut-il pas réfléchir, à maintes reprises, corriger, changer, discuter, intellectualiser la danse que l’on est en train de mettre sur pied avant de la réaliser avec son corps, de la danser? On dira que l’étape de l’intellectualisation est facultative. Je dirai la même chose : on réfléchit, on corrige, on change certains passages, on intellectualise le roman avant d’y mettre le point final, mais tout cela peut se faire sans cette étape singulière, qui est pourtant possible, que l’on doit accepter comme partie prenante ­– ou pas ­– d’un processus de création. Et comme l’université est un lieu qui fonctionne selon des règles qui lui sont propres, ce qui s’y passe n’est pas exactement la même chose que ce qui se produit hors de ses murs. Ainsi peut-on jouer au théâtre, peindre, écrire, faire des expériences scientifiques, réfléchir à l’histoire d’un peuple, etc., sans mettre les pieds à l’université. Mais si on accomplit l’une ou l’autre de ces actions à l’intérieur même de l’academia, le geste doit être différent, doit se réclamer d’une plus grande intellectualisation, peut-être, à tout le moins d’une obligation à réfléchir. Sinon, entre université et maison de la culture, il n’y aura aucune différence. Et que vaudront les diplômes qui y seront délivrés? Je veux bien accepter que le rôle d’un professeur de création littéraire à l’université soit d’accompagner les étudiants dans leur démarche, de les amener par le biais d’ateliers et de discussions à découvrir leur propre ipséité et à explorer les virtualités du langage, mais est-il en cela si différent du rôle du professeur de littérature? Celui-ci accompagne en effet les étudiants dans leur exploration du domaine littéraire à travers des cours magistraux, des ateliers, des séances de discussions durant lesquelles le groupe réfléchit toujours, en filigrane, à la question que sous-tend l’entreprise intellectuelle : mais qu’est-ce donc que la littérature? Il faut ne pas avoir mis les pieds dans une salle de cours depuis bien longtemps pour s’imaginer que le professeur de littérature, théoricien de surcroît, impose une liste de « classiques » ainsi que la bonne interprétation de chacun d’entre eux, d’une manière impérialiste et commandant une vérité absolue indiscutable. Devrait-on admettre, donc, dans les programmes de création littéraire aux cycles supérieurs des candidats qui ne possèdent pas un bagage de connaissances assez fort sur la littérature, son histoire, ses formes, ses pratiques, etc.? Il serait impossible d’être admis dans une faculté de musique si l’on ne démontre pas une bonne maîtrise d’un instrument en particulier. La comparaison est peut-être malheureuse parce que les deux langages ne sont pas les mêmes, mais elle fait réfléchir. Ce que j’avance par-là, ce n’est pas qu’il faudrait copier le modèle étatsunien des MFA (Master of Fine Arts) de creative writing dans lesquels programmes les étudiants sont admis sous la base d’un portfolio de textes de création qu’ils ont dû soumettre lors du dépôt de leur candidature, programmes donc réservés à des professionnels ou semi-professionnels de l’écriture, mais bien plutôt que l’acceptation dans un programme de maîtrise en création littéraire soit conditionnelle à l’obtention d’un diplôme de premier cycle suffisamment spécialisé pour que les candidats qui s’engagent dans un cursus de deuxième cycle le fassent en ayant une connaissance raisonnable du domaine littéraire. Cela semble être une évidence, mais est présentement remis en question par certaines pratiques institutionnelles. N’oublions pas qu’un étudiant qui intègre une faculté de musique dans le cadre d’un programme de deuxième cycle en composition, par exemple, possède une connaissance générale forte de la discipline, de son histoire, et de l’analyse des œuvres musicales. De plus, l’université n’est pas une entreprise privée et les programmes d’étude en création littéraire ne doivent pas tenter de faire le travail des maisons d’édition et se restreindre à mener l’étudiant vers l’écriture d’un texte qui répondrait aux demandes du marché. Maude Deschênes Pradet, dans son mémoire de maîtrise en création littéraire, considère que cette indépendance de l’université par rapport au commerce joue à son avantage :

C’est aussi que nous avons tendance à percevoir, en particulier dans les milieux artistiques, toute institution comme étant figée par nature, donc imposant des limites à la création. Pourtant, les universités sont également des lieux de recherche et de transmission du savoir et de la culture qui permettent de se poser comme chercheur indépendant en dehors des contraintes de l’entreprise privée, en occurrence pour partager les beaux problèmes de la conception d’un texte littéraire avec une communauté de pairs. Cette collégialité que permet l’université est considérée par plusieurs comme inutile pour la formation des écrivains. On cite en exemple tous les grands écrivains qui se sont développés, du moins le croit-on, dans la solitude (en oubliant que de tous temps les écrivains, les artistes, ont cherché à se regrouper dans des salons ou des centres culturels, en s’installant à Paris ou à Londres, par exemple) (2011 : 151).

Cette collégialité doit se traduire par des séminaires, des tables rondes, des colloques comme celui dont est issu le présent texte, des publications collectives, bref par l’investissement de ce haut-lieu du savoir et de l’innovation qu’est ou que devrait être l’université. Et cet investissement implique nécessairement une réflexion intellectuelle sur l’acte de création. Une forme, donc, de recherche-création.

Dans un article sur « la portée éthique et politique de la littérature », Kateri Lemmens discute du rôle que David Foster Wallace attribue à l’éducation postsecondaire en lettres et en humanités; je cite :

il s’agit d’ « apprendre à penser ». Apprendre à penser, c’est-à-dire prendre conscience que notre configuration par défaut détermine notre manière de comprendre et d’interpréter et de nous donner, ainsi, une prise sur ce que nous pensons et sur la manière dont nous le pensons. Pourquoi? Pour nous éviter d’être morts à même la vie; d’être jour après jour, seul et emprisonné, coupé des autres, dans la cage de pensées et de doutes que peut devenir notre esprit. Apprendre à penser, explique [David Foster Wallace], c’est d’abord prendre conscience de notre configuration par défaut afin de convertir notre regard et de réaliser qu’il est possible de percevoir les expériences qui constituent notre vie autrement (2011 : en ligne).

Ainsi, les études supérieures en création devraient être elles aussi le lieu d’une telle prise de conscience. Il me semble que le totalitarisme théorique ne pourrait survivre à une démarche semblable. Kateri Lemmens, dans le même article, propose sans le savoir une issue à la controverse ­– bien que celle-ci, on l’a dit, n’en cherche pas nécessairement :

Il en va précisément du sens des études, de l’enseignement et de l’écriture de la littérature de nourrir l’apprentissage de la pensée, de nous permettre de prendre conscience que nous avons un « point de vue », qu’il existe autant de « points de vue » possibles (et donc des visions du monde) qu’il existe de consciences, et que la capacité de reconnaître cela et d’agir en conséquence est au cœur de l’éthique (2011 : en ligne).

L’éthique serait donc la clé qui permettrait de réconcilier les producteurs d’une littérature intellectuelle et les autres; en acceptant que notre configuration par défaut (ou que notre configuration acquise) agit comme des œillères, nous serions à même de les retirer pour voir qu’autour existent d’autres points de vue, d’autres configurations et d’autres visions de la littérature et qu’elles peuvent cohabiter sans heurts. Cela est très beau, certes, mais la beauté est-elle étrangère à la pensée articulée? Il y a peut-être là un avatar du grand rêve de la paix sur terre, mais il me semble légitime dans la mesure où la littérature devrait être, comme le suggère Yannick Roy dans le texte « La fin de l’histoire se poursuit », « une école de méfiance à l’égard des sortilèges idéologiques » (2012 : 28). C’est pourquoi je plaide pour une littérature intellectuelle parmi d’autres : pour permettre à cette posture d’exister harmonieusement avec les autres postures admises à l’université. Toutefois, je persiste à défendre l’idée que la littérature qui est produite à l’université doit nécessairement se démarquer de la littérature produite ailleurs afin qu’elle conserve sa pertinence et afin de ne pas donner raison à Roman Jakobson, qui s’était opposé à l’époque à l’attribution d’une chaire en littérature à Harvard à Vladimir Nabokov. Jakobson avait alors dit quelque chose comme cela : « Et puis quoi encore? Demandera-t-on aux éléphants d’enseigner la zoologie? » Aujourd’hui, trente ans après les balbutiements des études en création littéraire au Québec, le champ demeure fragile, miné de l’intérieur comme de l’extérieur. La création à l’université trouverait-elle son salut dans la recherche-création et dans une plus grande réflexion sur l’acte de création? Bien naïvement, je crois que oui.

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