Ce texte a été écrit dans le cadre du colloque « Portrait de l’artiste en intellectuel: enjeux, dangers, questionnements », qui a eu lieu les 26 et 27 octobre 2012, à l’Université Laval.

La littérature, tout le monde s’entend là-dessus, n’est pas une science; c’est un art, et les œuvres qu’elle engendre ne sont pas objectivement vraies. Fausses, au contraire, même si rafraîchissantes parce que divertissantes, légères, inspirantes, remplies de perspectives imaginaires qui convient les lecteurs à vivre des aventures historiquement fausses, mais non moins réelles pour autant. Ce sont des œuvres de fiction et le monde qu’elles engendrent s’oppose au monde dit vrai dans lequel nous nous mouvons quotidiennement. Le monde de la fiction s’oppose au monde de la réalité tel que décrit par la science, lequel monde est, lui tout particulièrement, considéré comme vrai. Il s’oppose également au monde quotidien que nous habitons sans nous poser de question l’estimant stable et donc vrai, puisque la vérité et la permanence sont considérées comme allant de pair.

 Au mieux, les œuvres littéraires pourraient être qualifiées de vraisemblables. Les événements qu’elles racontent auraient pu se produire dans la vie «réelle», historique. La seule chose qui soit historiquement vraie dans ces œuvres, c’est qu’elles ont été écrites par tel auteur, à telle époque, dans tel pays, en telle langue, etc. Pour le reste, à savoir le langage tel qu’il devient à l’intérieur de l’œuvre, le monde engendré par ce langage organisé de telle ou telle façon pour produire tel ou tel effet qui rend possible telle ou telle manifestation, tout cela appartient au monde de l’imaginaire, non au monde de la raison.

Est-ce à dire que le monde engendré par le langage lorsqu’il devient littéraire est un monde objectivement irréel, historiquement faux comme cela est évident, mais même ontologiquement sans consistance, sans densité et sans profondeur? Plusieurs l’affirment et refusent de prendre au sérieux les faits, gestes et mots que l’on rencontre dans ces textes. Comme si tous les textes de fiction se valaient, qu’aucun n’était moins faux que l’autre. La seule variable concernerait la façon dont un auteur s’y prend pour présenter ses faussetés afin d’endormir le lecteur en lui fermant les yeux sur ce point pour les lui ouvrir sur d’autres : le style, la complexité de la syntaxe ou de la narration, l’originalité des personnages, les niveaux de langage, les variations sémantiques, l’idéologie de l’auteur, les discours inconscients qui s’imposent à travers le discours conscient, etc. Pas surprenant que les facultés des Lettres soient devenues des lieux où ceux qui œuvrent, autant les professeurs que les étudiants, ne s’intéressent plus aux écrits eux-mêmes, leur densité, leur profondeur, les révélations qu’ils contiennent, etc., mais s’en tiennent à l’étude des formes et des modèles, au sens mathématique du mot, qui peuvent être déduits de l’étude des œuvres existantes, ou des vérités que l’on peut imposer au texte lorsqu’on le soumet aux méthodes d’analyse pour lui faire avouer indirectement ce qu’il refuse d’avouer directement.

En effet, puisque le texte de fiction est faux, pourquoi le prendre au sérieux? Ces textes n’affirment-ils pas n’importe quoi selon le bon vouloir des personnages qui ne sont généralement que des paravents permettant à leur auteur de se camoufler afin d’agir sans être reconnu. «Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont mes personnages», clame l’écrivain mal à l’aise avec lui-même. De toute façon, les personnages sont fictifs et peuvent donc dire ou faire n’importe quoi, cela n’a pas d’importance. Suffit que la lubie soit vraisemblable et intéresse un éventuel lecteur, parce qu’on écrit pour être lu, paraît-il, et on ne peut être lu que dans la mesure où ce que l’on écrit rejoint les intérêts ou les attentes de celui à qui le hasard aura mis le livre entre les mains.

Les facultés des Lettres sont devenues des facultés où travaillent des chercheurs en mal de découvertes qui espèrent au moins la reconnaissance de leurs pairs, le reste des mortels manifestant la plus grande indifférence pour ces acrobaties mentales portant sur des riens, et qui se contentent de dire en quoi et pourquoi ces riens sont intéressants du point de vue linguistique, narratologique, historique, sémiotique ou autres; jamais pour eux-mêmes, ni en eux-mêmes, parce qu’il n’y a rien dans ces textes, hormis le texte lui-même comme entité linguistique, affirment de savants linguistes.

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Tout cela est on ne peut plus clair et rend définitivement caduque toute velléité d’enseignement de la création littéraire, cette ultime distraction à laquelle s’adonnent ceux qui ont perdu le sens de la réalité et ne sont même pas intéressés à le retrouver. Autrement, ils iraient consulter un psychiatre qui les aiderait à revenir sur terre, au lieu de s’enliser dans leurs délires. Faute de cela, ils perdent un temps précieux à barbouiller des pages et des pages pour produire de la fiction qui est, on vient de le voir, située aux antipodes de la réalité; dans l’irréel et même le faux. À tout le moins l’indémontrable et le mystérieux, ce qui, pour un savant, est l’équivalent du faux.

L’enseignement de la littérature comme art, de même que la pratique de la fiction, doivent donc être considérés comme anachroniques et même proscrits dans nos sociétés postmodernes. À moins qu’il ne s’agisse d’un enseignement de la science littéraire et de l’écriture de savants exercices ayant comme objectif de manifester la justesse des théories dont ces exercices s’inspirent, ou de pousser au maximum les possibles inscrits dans le logiciel de la théorie. De semblables textes permettent à ceux qui les écrivent de se familiariser avec les conclusions de modèles brillamment mis au point par des chercheurs qui se sont penchés sur les riens littéraires pour en découvrir les lois de fabrication et permettre à quiconque cela intéresse, par goût du jeu, de les reproduire et, même, d’en inventer d’autres, virtuels cette fois : ce qui a donné naissance à ce qu’on a appelé la littérature potentielle.

S’intéresser à une autre dimension de ces produits de la fiction supposerait qu’on acceptât de cautionner le faux, l’irréel et le fictif, ce contre quoi se bat, depuis des siècles, cette austère institution qui a nom : l’université. D’ailleurs, existerait-il une loi permettant à quiconque la respecte d’engendrer de l’irréel, de la fiction (des mots, des mots, des mots, selon Hamlet ((Shakespeare, Hamlet.)) ; des bruits et du papier, selon Cébès dans Tête d’Or de Paul Claudel ((Paul Claudel (1974), Tête d’or, Paris, Mercure de France (Livre de poche), p. 9.)) ), qu’il faudrait l’abolir, au nom du bien commun. De toute façon, c’est la rumeur qui l’affirme, pas besoin de lois (et donc pas besoin d’enseignement) pour créer. Chacun y va selon sa petite ou sa grande inspiration. Suffit de se bander les yeux et de mettre la machine en marche. Elle ira certainement quelque part. Que nous importe où, pourvu que cela bouge et engendre des textes qui permettront aux théoriciens de se faire les dents sur cet os surgi du néant.

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Tout cela est bien rigolo, mais ne fait pas disparaître le fait que l’art littéraire existe, que des œuvres de langage et de parole ont été hier, sont aujourd’hui et seront encore demain créées par des hommes et des femmes en quête de ce qu’ils n’hésitent pas à qualifier de réel et même de réel absolu. Comme si l’autre réel, celui de la science et du bon sens, ne leur suffisait pas; que cette réalité et cette vérité, dont la plupart se réclame et se contente, leur apparaissait fade et sans profondeur. Qu’ils sentaient vivre en eux d’autres exigences à côté desquelles les exigences de la vérité et du réel de la science leur apparaissaient quasi comme des leurres et du faux-semblant. À un point tel qu’ils sont prêts à tout abandonner pour suivre cette voix qui leur ouvre une voie dans laquelle ils ne demandent pas mieux que de marcher parce qu’ils espèrent qu’elle les conduira à la source même de ce réel absolu.

Je sais! Un tel discours ne saurait convaincre que ceux qui sont déjà convaincus, ayant accepté de se laisser entraîner dans des voies parallèles de connaissance au lieu de demeurer fidèles, comme le font la plupart des universitaires dignes de ce nom, y compris ceux qui enseignent dans un département des littératures, à l’analyse logique et aux approches théoriques. Pour tous les chercheurs adonnés à la pratique de la science littéraire (car il existe maintenant une science littéraire qui a fini par supplanter totalement l’art littéraire, à tout le moins au niveau de l’enseignement collégial et universitaire), la première règle à observer, face à de telles œuvres, lorsqu’on travaille à l’université, est de s’en tenir à la forme. Parce que, dans le domaine de la fiction, paraît-il, c’est le fond qui manque le plus.

C’est pourquoi le théoricien ne cherche pas de ce côté pour ne pas être déçu. Il s’attarde plutôt aux méthodes qui, elles, existent pour et en elles-mêmes et peuvent conduire celui qui leur est dévoué, à un territoire aride, asséché, stérile, mais conforme aux attentes de la raison, cette maîtresse à laquelle doit demeurer fidèle celui qui espère une reconnaissance pour ses travaux.

Il n’en demeure pas moins que certains «dinosaures» osent encore émettre l’hypothèse que l’humanité qui nous habite, et que nous habitons, ne se réduit pas à la rationalité et que, contrairement à ce qu’affirmait Hegel, cet ancêtre – avec Descartes et Kant – de nos valeureux chercheurs contemporains, tout ce qui est rationnel n’est peut-être pas réel et, conséquemment, comme dirait Lapalisse, tout ce qui est réel n’est peut-être pas réductible au rationnel. Une telle affirmation ne trouve pas d’écho dans l’oreille de nos théoriciens qui ont été vaccinés contre toute interrogation autre que celles émanant de leurs cornues. C’est pourquoi cette maxime est généralement servie pour clore toute discussion, et l’infidèle qui ose interroger ce dogme est renvoyé aux Calendes, même s’il lui semble, comme cela le semblait à Unamuno, cet espagnol qui perdit son temps à essayer de convaincre les serviteurs de la déesse Raison, que le plus important ne se situe pas du côté de la raison, mais de celui du cœur et de l’intuition, et qu’il est plus important de ressentir que de définir.

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Chacun vit en conformité avec les articles de son Credo, et les commandements de la Raison ne sont pas plus nobles ni plus apodictiques que ceux du Cœur, à tout le moins si on se fie aux affirmations de Pascal, ce mathématicien qui n’oublia jamais qu’il avait une âme immortelle et une sensibilité capable de connaître autant, sinon plus, que sa raison.

Toutes ces affirmations sont souvent, dans nos grandes institutions modernes, jugées rétrogrades et inutiles parce qu’elles obligent celui qui les partage à se soumettre au tempo de sa conscience mythique dont la science a fait table rase depuis longtemps. Le savant ne s’occupe plus des mythes sinon pour montrer de quelle façon fonctionnait l’intelligence de nos lointains ancêtres à peine sortis des cavernes qui les protégeaient contre les bêtes sauvages. Ces grands singes encore incapables de se tenir à la verticale, nous apprend la paléontologie, n’étaient pas suffisamment évolués pour soumettre leurs faits et gestes aux impératifs de la déesse Raison. D’où l’expression l’âge des ténèbres pour qualifier cette époque durant laquelle vivait une humanité encore prisonnière des peurs ataviques qui lui servaient de référence et de moteur d’existence.

Mais se pourrait-il que cette façon de voir soit, comme l’ont d’ailleurs affirmé plusieurs penseurs, très réductrice et refuse de considérer, dans les comportements mythiques, un mode de connaissance sans lequel toute une partie de la réalité totale soit ou bien complètement gommée ou, à tout le moins, considérée comme inférieure et donc jugée indigne de faire partie d’un programme d’études sérieux, universitaire de surcroît? Se pourrait-il également que cette forme d’exercice de la connaissance doive subsister si on veut éviter qu’une certaine dimension de la conscience humaine ne s’atrophie et même ne disparaisse, laissant ces mêmes hommes orphelins d’une part importante de leur être en les obligeant à se couper de leur sensibilité pour accéder à la vérité? La question vaut au moins d’être posée. D’autant plus que, même après le grand lessivage exigé par les protecteurs de la santé mentale de l’humanité pour la soustraire aux noirceurs engendrées par les religions, de même que des dérèglements de la sensibilité à l’origine de l’art, le besoin de sacré et d’absolu sont toujours présents chez les humains. Il faut oser répondre oui à cette question même s’il s’agit d’un oui rapide qui devra s’approfondir pour permettre à celui qui accepte de se laisser entraîner par cette façon de comprendre l’apprentissage de la littérature comme art, c’est-à-dire lieu de création.

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Acceptons donc que l’on puisse, légitimement, même à l’université, pour ne pas dire surtout, s’adonner à la création de lieux scientifiquement irréels et donc objectivement faux. En d’autres termes s’adonner à la pratique de la fiction et engendrer, par et dans l’écriture, des espaces enracinés dans des expériences plutôt que dans des expérimentations. Ce qui suppose la percée d’une brèche dans les murs érigés autour de l’aire de réel arpenté par la connaissance scientifique, et accéder à un autre type de connaissance : la co-naissance. Ce qui suppose également qu’on reconnaisse que la pratique de la création littéraire est à l’origine d’un exercice de la connaissance subjective qui doit être accepté comme légitime et enseignable, même s’il n’est pas soumis aux mêmes lois que celles exigées par la pratique de la connaissance objective. En d’autres termes, il faut accepter d’interroger et même de contester radicalement la maxime selon laquelle l’art ne s’enseigne pas.

L’école reconnaît parfois la légitimité d’un enseignement portant sur les textes issus de la pratique de l’art littéraire. Mais il s’agit d’une interprétation de ces textes plutôt que de leur recréation. L’approche interprétative permet une certaine appropriation du texte,  plus intellectuelle qu’existentielle, cependant, et qui donne plutôt dans la traduction que dans la recréation.

Il faut également remarquer que ce qui fait et a toujours fait question, à l’université, c’est l’enseignement de la création littéraire au niveau des deuxième et troisième cycles. Que l’université «s’abaisse» jusqu’à permettre l’animation d’ateliers d’écriture au premier cycle, personne ne le conteste vraiment (cela apporte beaucoup d’inscriptions), mais tout le monde ou presque s’entend pour prendre ce genre d’enseignement avec un sourire de condescendance, parce qu’il ne prête pas à conséquence, pense-t-on. Mais qu’on ose permettre aux éléphants ((Lorsqu’il apprit que des collègues s’apprêtait à introduire à son université l’enseignement de la création littéraire, le célèbre théoricien s’écria : « À quand des éléphants pour enseigner la biologie? »)) dont parle Jacobson de venir parader dans l’aire réservé à la recherche sérieuse dépasse, selon plusieurs, la limite du tolérable, comme nous le verrons plus loin.

Avant d’en arriver à ce point, il convient d’indiquer un certain nombre d’exigences qui devraient être respectées pour qu’une pédagogie adéquate, permettant à celui qui ose se lancer dans la pratique de la création littéraire, surtout aux deuxième et troisième cycles, soit mise en place. Pour nous y aider, tentons de préciser le sens du mot fiction.

Où nous conduit ce mot? Si nous nous en tenons à sa signification courante, le mot fiction est utilisé pour désigner tout ce qui n’est pas réel, c’est-à-dire tout ce dont il est impossible de fournir une preuve scientifiquement valable d’existence. Comme il en va pour les fantômes. Existent-ils ou pas? La question demeure ouverte. De même pour l’âme. On en parle, on en discute savamment et même viscéralement, mais personne n’en peut prouver scientifiquement l’existence. Aucune dissection n’a encore réussi à mettre le bout du bistouri sur un organe qu’on pourrait appeler l’âme. De là à dire qu’elle n’existe pas, il n’y a qu’un pas qui a été franchi depuis longtemps. De même, à plus forte raison, pour l’esprit et même la pensée qui est une «sécrétion» de l’esprit : c’est tout dire. On peut lire des livres remplis de ce qu’on appelle des pensées, parfois qualifiées de profondes, lumineuses, transcendantes, mais on ne sait jamais par rapport à quoi ces qualificatifs peuvent être attribués à de telles phrases qui ont généralement la manie de s’exhiber sous forme d’énigmes ou même de rébus. Ou encore, des phrases formulées avec une telle simplicité qu’à première vue elles semblent banales. Ce qui est loin de concourir à rendre plus crédible l’existence de la pensée et même, en poussant un peu, de l’esprit d’où ces pensées seraient supposées émaner et qu’elles auraient pour fonction de manifester.

Pourtant, elles existent, même si les représentants de la laïque inquisition insistent auprès de l’infidèle pour qu’il confesse son erreur et remette sa raison en marche au lieu de l’enfouir sous un amas de scories issues de sa sensibilité et de ses croyances émanant, comment pourrait-il en être autrement, de son insécurité et de ses peurs ataviques.

Qu’importe pour le moment la nature et la réalité de ces pensées et autres grigris du même ordre qui ont, de toute évidence, une existence au moins imaginaire; autrement, on ne pourrait même pas en parler. Disons donc une existence de langage. Ce qui, la chose est bien connue dans les milieux de la grande recherche, ne signifie rien d’autre que la reconnaissance du fait que quelqu’un, quelque part, du fond de son imagination surchauffée, obéissant, quasi malgré lui, à des pulsions secrètes, a été conduit à écrire telle ou telle phrase qui s’avère différente des phrases anonymes que chacun prononce au gré des circonstances, et de celles utilisées par le savant pour rendre compte de ses recherches.

Ce lieu particulier engendré à partir d’on ne sait quoi ou qui, ni pourquoi ni pour qui, on le dénomme imaginaire. Mais il existe. D’une existence particulière mais, de toute évidence, repérable au moins par les sons qui le manifestent, lorsque nous nous situons en littérature. Et c’est quand même particulier qu’une chose puisse exister sous le mode d’une existence imaginaire et que cette chose soit déclarée fumeuse, évanescente et considérée comme ne pouvant provoquer aucune résonnance dans la conscience et la sensibilité de celui qui la reçoit. Il existe une création se manifestant dans une certaine forme, mais cette forme est déclarée vide, en attente d’un savant lecteur pour la rendre parlante en la soumettant à l’analyse.

Tous ceux qui partagent ce point de vue doivent s’arrêter ici. Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable. ((Romain Gary (1975), Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable, Paris, Gallimard (Folio).))  À partir d’ici, en effet, nous entrons dans un monde interdit qu’aucun savant n’a encore investigué parce qu’il s’agit d’un monde constitué de réalités dynamiques, mouvantes, que la conscience ne peut fixer sans les faire instantanément disparaître. Ces réalités ne livrent leurs secrets que dans le mouvement de création lui-même qu’on ne peut connaître qu’en en faisant l’expérience à laquelle on n’accède pas aussi facilement que cela peut le sembler à première vue. Rares sont ceux qui tombent dans la potion magique dès leur naissance. Chez la plupart, cette baignade dans les eaux originaires s’effectue grâce à une initiation qui rend celui qui s’y soumet plus apte à voir, entendre, toucher même, des réalités dont il ne soupçonne autrement que très vaguement l’existence. Lorsqu’on est en littérature comme art, cette appropriation du mouvement propre à la création peut s’effectuer de deux façons : par la recréation d’œuvres déjà existantes ou par la création d’œuvres inédites et originales.

Ce monde autre, la science ne peut ni ne veut en tenir compte parce qu’il se situe en dehors de ses prises directes. Rares sont ceux, en ces temps de super rationalisation, qui osent reconnaître l’existence d’une autre voie (et d’une autre voix) que celle de la raison. Plus rares encore sont ceux qui acceptent d’emprunter cette voie, de se laisser enseigner par la voix qui parle dans les textes littéraires. La plupart des intellectuels tentent plutôt d’imposer au texte leur interprétation concoctée à partir d’une grille d’analyse et refusent, pour des raisons idéologiques, de se laisser enseigner par le texte lui-même, en suivant les mots et le rythme dans lequel ces mots se présentent pour laisser le texte interférer avec leur sensibilité dans laquelle toute parole concrète s’enracine et se nourrit. Ce qui donnerait lieu à un texte de recréation de l’ordre de l’appropriation personnelle et sensible du texte se manifestant par un autre texte qui devient commentaire plutôt qu’interprétation.

Suivons cette orientation quasi secrète, déplaçons-nous du côté sombre des choses et du cœur. Suivons les mots lorsqu’ils commencent à bouger, redonnant à la réalité sa ferveur, et à la conscience son innocence retrouvée. Entrons dans le monde de la fiction, ce monde qu’on dit irréel même si on affirme du même souffle que, très souvent, la réalité dépasse la fiction. Laissons-nous conduire par les mots jusqu’où ils sont, et laissons-les nous dire d’où ils viennent, ce qu’ils contiennent de forces cachées et de lumière diffuse qui se réfracte sur les mots lorsqu’ils sortent de ce monde que tous reconnaissent : le monde de la fiction, même si à peu près personne n’accepte de se laisser déranger par les présences occultes et pourtant familières alors révélées à quiconque retrouve en lui la route des antécédences. C’est dans ces zones que vivent les êtres qu’on dit inventés, ces ombres animées par on ne sait quelle force et habitées par on ne sait quel pouvoir capable de provoquer, chez ceux qui acceptent de les rencontrer, émerveillement, angoisse et déstabilisation.

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Ce mot fiction nous renvoie autant à l’imagination qu’au monde engendré par cette possibilité que nous avons de dépasser le réel de surface pour accéder à un réel de profondeur par la création d’œuvres qui témoignent de notre pouvoir de dévoilement et de co-naissance. Pour les hommes de science, y compris les théoriciens, la fiction et tout ce qui s’y rapporte ne peut engendrer dans la conscience humaine de véritable connaissance; au mieux une émotion passagère, au pire un sentiment vague qui nous habite sans nous instruire vraiment, ne pouvant, à la rigueur, que nous soulager du poids de l’existence en faisant briller à l’horizon des étoiles éteintes dont le faisceau lumineux nous parvient encore sous forme de lumière fossile, la lumière des origines.

Pour tous ceux qui vivent dans l’abstraction et ont horreur du concret, la seule véritable connaissance se situe du côté de la raison et tout ce qui concourt à obnubiler cette faculté doit être répudié, principalement l’émotion, contre laquelle le savant se prémunit pour ne pas nuire à ses expérimentations et s’assurer de la véracité de ses conclusions. Il est vrai que le monde de la fiction s’épanouit dans des zones bien différentes de celles fréquentées par les savants et fait appel, dans son exercice propre, à des facultés bien différentes de celles qui concourent à engendrer le monde de la vérité objective.

On peut comprendre les réticences du savant  face à l’émotion qui est, selon lui, l’une des principales sources de perception erronée de sa réalité propre parce qu’elle rend difficile la saisie de l’objet en tant qu’objet. L’émotion est le résultat de la rencontre de la chose comme chose lorsqu’on permet à cette chose de se manifester en tant que présence et signification. La chose, pour la conscience créatrice, est un autre visage d’elle-même. (L’âme, écrit Aristote, est, d’une certaine façon, toute chose) ((Cité par Heidegger dans Sein und Zeit, (L’être et le temps), traduction de Rudolf Boehm, Paris, Gallimard, 1964, p. 29.)) . En accueillant la chose, la conscience s’accueille elle-même et se permet d’habiter le monde sous un mode nouveau : le mode de la rencontre et du dévoilement. Il n’existe alors pas vraiment d’écart entre la chose et la conscience, contrairement à ce qui se passe dans le cas de la connaissance objective qui exige qu’un écart soit creusé entre la conscience et la chose, qui devient alors objet analysable et définissable par la conscience claire.

Nous ne pouvons connaître, au sens objectif du terme, que l’objet. Non la chose qui, elle, se donne à nous dans la fiction qui lui permet de se reconnaître en nous, et réciproquement. Et cette chose, dans la fiction, n’est pas située en face de nous, mais en nous et avec nous. La poésie n’est pas dans la nature, affirme Reverdy ((Pierre Reverdy (2003), Sable mouvant suivi de Cette émotion appelée poésie, Paris, Éditions d’Étienne-Alain Hubert, Poésie Gallimard, p. 107-108.)) , de qui j’ai fini par adopter le point de vue, elle est en nous; plus précisément dans la rencontre des deux (c’est moi qui ajoute cette nuance). Nous ne co-naissons la chose qu’en devenant cette chose, sans cesser d’être nous-mêmes, nous apprend une philosophie qui a trempé dans l’existence.

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Pour comprendre la nature de la fiction et de l’art dont elle est le moteur, il faut quitter le «monde» des lois et des définitions pour s’ouvrir à celui de l’évocation et de l’inédit. Entrer dans un monde non objectif en se tournant résolument vers l’intuition. L’art engendre des mondes qui n’ont rien en commun avec celui de la science. Le poète, le romancier, l’essayiste, le dramaturge ne sont pas soumis aux critères de vérité établis par la science ou la théorie parce que le domaine dans lequel ils œuvrent n’obéit pas aux mêmes lois de conformité que celles qui prévalent dans le domaine scientifique. Mais ils ne peuvent non plus aller au hasard, laissant le petit bonheur leur prendre la main pour les conduire n’importe où.

En science, les conclusions sont établies à partir d’expérimentations alors qu’en art elles le sont à partir d’expériences existentielles et, jusqu’à un certain point, esthétiques. De même que la vérité scientifique exige que le savant accepte de se soumettre à des expérimentations souvent longues et fastidieuses pour se permettre de conclure de telle ou telle façon, de même, la vérité artistique exige de l’artiste (autant le créateur que le lecteur) qu’il appuie son travail et ses «recherches» sur des expériences existentielles concluantes parce qu’elles auront été vécues dans le silence et auront permis à la conscience d’élargir son champ de perception. Ce qui, également, prend du temps, beaucoup de temps. Georges Mounin affirme qu’il a mis des années avant de vraiment saisir la profondeur de l’image : «j’ai pris sans éclat le poignet de l’équinoxe». Sans oublier une connaissance approfondie du matériau qui s’effectue, bien entendu, par une étude de la grammaire et de la stylistique, mais une étude qui s’enracine dans une lecture recréatrice des textes littéraires. La langue et, surtout, le langage deviennent alors lieu d’incarnation et d’expression de ces différentes expériences. L’artiste ne peut parler avec autorité et vérité que de ce qu’il a vécu et expérimenté, et il ne peut le faire que dans la mesure où il se coule dans le langage. Autrement il risque d’étouffer la voix de l’autre qu’il confond avec la sienne détournant ainsi le langage de son lieu propre : la parole.

Ces distinctions étant établies, il est maintenant possible de poser les trois questions qui sous-tendent le présent colloque pour, si possible, les éclairer.

1. Q. En quoi la science littéraire, principalement la théorie, peut-elle aider le créateur à réaliser l’œuvre qui lui est propre?

R. En rien. Ces deux activités, l’activité théorique et l’activité de création, se développent sur deux axes parallèles. Et donc, selon la définition du mot, elles ne se rencontreront jamais. Ce n’est pas parce que quelqu’un possède de solides connaissances en science littéraire qu’il pourra plus facilement créer des œuvres signifiantes. Et vice versa; ce n’est pas parce que quelqu’un a créé une œuvre littéraire importante et même majeure qu’il peut s’adonner à des analyses subtiles et éclairantes sur les œuvres littéraires, y compris surtout la sienne. Il se détourne généralement de toutes ces investigations pour ne pas s’extraire de la source qui le nourrit : son inconscient. Les facultés à l’œuvre dans l’une et l’autre activité ne sont pas les mêmes parce que les objectifs poursuivis et les postures exigées sont diamétralement opposés.

L’une suppose qu’un écart soit établi entre la conscience et la chose analysée; l’autre exige au contraire que la conscience se rapproche de la chose qu’elle veut co-naître jusqu’à quasi se fondre en elle pour en manifester la présence et en dévoiler l’être. Écrire un compte rendu ou un rapport de colloque, préciser une théorie dans un texte qui la détermine et, d’une certaine façon, la fige, exige l’exercice de certaines facultés et la mise en veilleuse d’autres facultés, exige également un certain type de rapport au langage, le langage comme outil ou comme ustensile ainsi que le précise Sartre dans Qu’est-ce que la littérature?. ((Jean-Paul Sartre (1948), Qu’est-ce que la littérature, Gallimard (Folio), pp. 15 et ss.)) Nous sommes dans l’objectivité et l’appel à la conscience créatrice est réduit au minimum, voire totalement, pour ne pas nuire à la clarté ni à la rigueur du résultat de l’analyse.

L’autre exige au contraire que la conscience se rapproche de la chose connue au point de s’y confondre afin de vivre une expérience de rencontre et de participation à l’origine de la création d’un texte qui dit cette rencontre en l’accomplissant. Nous sommes dans la subjectivité et la posture alors adoptée est tout autre. Les mots deviennent des lieux et des images sonorisées à l’origine d’un texte mouvant et habitable par la conscience créatrice qui lui a donné naissance et les autres qui se laisseront «informer» par ce texte devenu lieu possible d’habitation et d’être.

On peut, comme certains le pensent, adopter la même posture pour écrire un roman, un essai et même une critique. Cela signifie que, pour ceux qui adhèrent à cette position, la façon de traiter des trois «genres» répond à la même exigence épistémologique et a en vue la même manifestation de la conscience, plus proche de l’objectivité que de la subjectivité, même s’il s’agit d’une sorte d’objectivité subjective (si on peut juxtaposer, sans tomber dans le ridicule, ces deux termes qui sonnent de la même façon que le font ces deux autres : recherche-création). Comme cela se passe dans l’essai et un certain type de roman moderne qui tient beaucoup de l’essai, de même qu’une certaine critique subjective qui devient plutôt de lieu d’expression du critique lui-même, que d’une tentative de situer l’œuvre visée par rapport à elle-même et par rapport aux autres avec laquelle on la compare.

Pour que les études en théorie littéraire (ainsi que toutes les analyses qui s’enracinent en elle) soient considérées comme complémentaires à la création comme telle, il faut que le mot création soit entendu dans le sens de fabrication d’un objet en vue d’une fin déterminée par la raison et soumise dans sa réalisation, aux lois propres à cette dernière, ou bien dans le sens de fabrication de textes qui n’obéissent à rien d’autre qu’à un certain besoin d’innovation s’enracinant dans les théories et les idéologies à la mode, ou même à une sorte de divagation verbale (à l’origine d’un texte virtuel) qui ne poursuit rien d’autre que cela, surtout pas ce voyage aux origines de la conscience, du langage et du monde qui sont le propre des textes de création littéraire proprement dits.

Et alors, nous ne sommes plus en art. Tout finit par se passer dans la tête de l’écrivain et du lecteur au lieu de se passer dans sa sensibilité, son imaginaire et son être comme il est indispensable que cela se passe pour que le texte puisse devenir un véritable lieu de rencontre et de participation.

2. Q. Un créateur est-il un intellectuel?

R. Si l’art relève aussi de l’intelligence comme je le suppose, il n’est pas faux de dire que l’artiste est un intellectuel. Cependant, des années (pour ne pas dire des siècles) de rationalisme triomphant ont fini par réduire l’intelligence à la raison. Dans ce contexte, un intellectuel est quelqu’un qui raisonne, réfléchit, théorise, etc. Tout le contraire donc d’un artiste dont le rapport au monde, au langage et à lui-même ne se situe aucunement dans cette perspective. Un artiste se fie à son intuition lorsque ce mot signifie la possibilité que nous avons d’accueillir et de manifester ce qui se donne à nous sous le mode de la participation, qui s’accomplit surtout par la création sous quelque forme que cette dernière se présente, y compris donc la création littéraire. C’est pourquoi, dans le contexte actuel de l’éducation et de la culture propre à l’occident, il faut dire que l’artiste n’est pas un intellectuel, même si cela est, d’une certaine manière, faux. Faux en lui-même (on ne crée pas avec son instinct animal, mais avec son intuition humaine et ses désirs d’expression, lesquels participent à l’intelligence, et donc à la vie intellectuelle),  mais vrai par rapport à notre situation spatiotemporelle.

3. Q. Existe-t-il une différence entre écrire à la maison et écrire à l’université?

R. Certains professeurs de science littéraire, soucieux de préserver leur suprématie sur l’enseignement de la littérature, ont mis au point deux catégories esthétiques susceptibles d’aider le vulgaire à voir clair dans la nuit de la création : écrire à la maison, écrire à l’université. Dit autrement : écrire en dehors des institutions officielles (à la maison ((L’expression «écrire à la maison», maintes fois utilisée dans certains départements, a toujours eu en vue de ridiculiser ou, à tout le moins, rabaisser ceux qui écrivent supposément dans la ferveur de l’inspiration qui les prend par les cheveux et leur dicte des textes devant lesquels leur auteur se pâme d’aise et de contentement. Contrairement à l’universitaire qui, selon ces catégories, rehausse son travail en le surélevant au niveau de l’abstraction des formes et de l’explication rationnelle à laquelle on soumet l’œuvre pour lui donner du tonus, du panache et de la crédibilité.)) ), et écrire à l’intérieur de l’institution universitaire.

Avant de poursuivre, il faut se pencher sur l’expression «écrire à la maison», laquelle suppose qu’il existerait des écrivains ((Tous ceux qui n’œuvrent pas à l’université sont considérés, si on se fie aux deux catégories, comme des écrivains délestés de toute appartenance à quelque société ou institution que ce soit, comme s’ils vivaient dans les bois ou sur les grandes corniches de notre bonne mère la Nature.))  pour qui la réflexion et l’organisation interne de l’œuvre s’effectuent spontanément, sans qu’ils aient à y penser. Ce seraient, selon ces professeurs, des génies devant lesquels nous n’aurions autre chose à faire que de plier les genoux, ainsi d’ailleurs que certains grands poètes ont osé, sans rire, l’affirmer de leur propre œuvre.

Dans les faits, personne n’écrit en dehors de l’institution littéraire dont l’Université fait partie, d’une part, et, d’autre part, personne ne peut s’adonner à l’écriture sans faire intervenir dans le processus de sa création un minimum de réflexion, ne serait-ce que pour tenter de situer son travail à l’intérieur des enjeux propres à la littérature comme art, et de la parole comme expression.

Personne ne sait par science infuse ce qu’est la littérature, encore moins ce qu’est la parole. Ce sont des réalités qui nous deviennent présentes au fur et à mesure de notre éducation, lorsque cette dernière accepte de considérer ce domaine comme le sien propre, au lieu de se cantonner dans une forme bien particulière d’exploration : la recherche scientifique. C’est dire que la littérature, l’écriture, la parole, l’inspiration devraient faire partie intégrante d’une éducation adéquate, c’est-à-dire qui s’occupe de tous les domaines qui permettent à la personne de se former et de s’accomplir. Il n’y a donc pas de «écrire à la maison» dans le sens d’écrire en vase clos, en rapport direct avec les esprits qui commandent la parole et font que celle-ci a été déposé chez un tel ou un tel et pas chez les autres. Sans compter les différents organismes auxquels tout écrivain est confronté : éditeur, distributeur, lecteur, critique, etc.

L’écriture est une activité qui se situe toujours à l’intérieur d’un réseau d’influences et de tractations auxquelles l’écrivain et l’œuvre sont soumis malgré eux. Il s’agit de toutes les questions concernant la publication et la réception de l’œuvre, lesquelles ont occupé certains chercheurs pendant des années pour ne pas dire des lustres. Également toutes les questions concernant l’écriture elle-même. On devient écrivain par et dans une pratique située à l’intérieur de certaines balises et exigences. Ce qui ne relève pas d’une théorie littéraire, mais d’une pratique enracinée dans une connaissance de la langue et du langage vivant, laquelle s’effectue, jusqu’à un certain point, par la grammaire et la stylistique, mais surtout par une lecture recréatrice des textes littéraires. La grammaire et la stylistique ne devraient pas précéder l’appropriation de la langue et du langage mais la suivre pour aider à voir clair dans l’expérience antérieurement vécue sur le vif. On apprend à parler par le ventre et non par la tête, comme le pensent les rationalistes.

Pourquoi l’activité de création deviendrait-elle problématique au moment où on décide qu’elle a une place à l’université? Parce que quelqu’un, une instance généralement anonyme (un comité, c’est tellement plus rassurant), a décidé qu’à l’université, il n’y avait de place que pour la théorie et tout ce qui se raccroche à elle; rien d’autre. Il n’y aurait donc qu’une seule méthodologie ayant droit de cité sur un campus universitaire : la méthodologie scientifique. Ce qui, il ne suffit pas de s’arrêter sur ce point très longtemps pour s’en rendre compte, est un peu, beaucoup, sectaire. Il existe ou devrait exister un droit d’existence pour une méthodologie particulière à chaque type de connaissance, et dont les principaux jalons devraient être établis par ceux qui ont la compétence pour le faire et non être laissés entre les mains des scientifiques toujours prêts à imposer leur ordre à tout ce qui bouge dans le domaine de la connaissance.

Il est au contraire temps qu’on reconnaisse autrement que du bout des lèvres et en se tenant la rate l’existence d’une méthodologie propre à la création littéraire, et que tout écrivain suit même sans le savoir. Qu’il situe son travail à l’université ou pas. Et seuls des créateurs ou des créatrices (disons plus humblement, ceux et celles qui s’adonnent à l’activité de création) sont vraiment habilités à baliser les principales étapes d’une telle méthodologie.

Quelqu’un peut avoir, grâce à des activités de lecture recréatrice de textes, développé sa capacité à découvrir les textes qui ont du mouvement, du rythme, du style et de la profondeur. Mais cela ne le rend pas pour autant apte à déterminer les principales étapes du processus de création. Il lui manquera toujours l’essentiel de la démarche, laquelle ne peut s’acquérir que par et dans une pratique qui oblige celui qui s’y abandonne à découvrir l’attitude (la posture) qu’il doit adopter s’il veut que son texte atteigne une écriture qui ait de l’autonomie et de la densité; en d’autres termes, qu’elle devienne un lieu d’épiphanie et de révélation. Tout cela est suffisamment important pour que l’université accepte de s’impliquer dans ce type d’enseignement et de recherche qui, bien entendu, ne peut être de type scientifique, mais n’en possède pas moins ses balises propres.

Il n’y a donc aucune raison (sinon le parti pris idéologique) justifiant le refus, à l’université, d’étudiantes et d’étudiants intéressés par la recherche de la co-naissance propre à l’art. Ce qui exige qu’on leur fournisse des maîtres compétents pour les guider dans cet apprentissage et qu’on mette sur pied des programmes et des cours orientés vers l’appropriation d’une telle connaissance, et ce, aux trois cycles.

C’est vers un approfondissement de cette problématique que devrait s’orienter nos futurs colloques, au lieu de clore le débat en arguant que le rôle de l’université est de favoriser la recherche scientifique et rien d’autre. Il faudrait également approfondir le sens du mot recherche et découvrir quelle orientation il ouvre lorsqu’on le situe dans le domaine propre de la création.