« J’ai toujours cru qu’être en couple, c’était semer des indices, en espérant qu’ils soient découverts par la personne aimée. La plupart du temps, ils ne le sont pas. La plupart du temps, on ne vit que dans l’attente que nos désirs soient compris, nos peines apaisées, et on oublie de chercher les indices de l’autre. » – Mikella Nicol, Mise en forme
« Je partirais tellement aujourd’hui. […] Je dirais bonsoir à tous mes amis »
Partir, Jean Leloup
« il est de saines absences »
– Audrée Wilhelmy, Peau-de-sang
Je parle au « nous » même quand je suis seule. Quatorze ans de vie commune, c’est ce que ça fait, j’imagine. « Nous » implique mon chum – que je préfère appeler « partner » ou « husband » à la limite, plutôt que « boyfriend », qui n’évoque en rien notre relation ni ses ramifications. « Nous » implique aussi notre fils unique: Bosco, mon vieux garçon de huit ans aux articulations fatiguées, ma grosse bibitte, mon partenaire de cueillette semi-retraité. Un border collie x lab noir et blanc avec des taches sur les pattes et une queue en pinceau. La morille est désormais trop intense pour lui et les baies l’ennuient une fois qu’il en est rassasié.
Quatorze ans à se laisser vivre. À s’accompagner. À s’amuser, s’obstiner, se gosser. À s’efforcer, s’endurer, s’encourager, se féliciter, s’ennuyer, s’améliorer, se révéler, se compléter.
Grandiose de simplicité, il continue, jour après jour, de susciter mon admiration.
Je ne l’appelle pas ma douce moitié, parce qu’être en couple, c’est d’abord être soi. Entièrement. Se respecter et respecter l’autre, ses désirs, ses besoins, ses limites. C’est permettre à chacun d’exister en dehors. De vivre sa vie. Même dans une relation monogame. Je crois que c’est la clé du succès: vouloir s’épanouir ensemble, chacun vers la meilleure version de soi-même, comme un bon vin.
Je cultive mon indépendance. Ça me paraît vital, d’autant plus en tant que femme. J’ai des repères, des fondations solides, des liens de dentelle plutôt que des attaches. On me fait confiance. On m’aime libre. On accepte mes paradoxes, mes doutes, mes rêves. On vit avec. Les trouve mignons.
De retour à ce royaume de neige où s’étendent nos racines, nos proches nous accueillent avec chaleur et réconfort. Les quelques semaines ou mois passés ensemble ne sont jamais assez, sachant que nous repartons inévitablement, au début de la fonte, à l’autre bout du pays. Cette vie nomade est remplie d’absence, de culpabilité. M’aimer c’est aller au chalet, se réunir, fêter les anniversaires, vieillir, sans moi.
Parfois je voudrais couper le cordon, juste pour pouvoir vivre l’instant, sans me soucier des gens et projets laissés derrière, des instants manqués, des messages sans réponse. Mais j’ai besoin de savoir que quelqu’un m’attend à la maison.
Le mouvement mène aux rencontres constantes, exaltantes. Dans les expériences intenses et éphémères se tissent des liens forts, d’une rapidité que seul un quotidien extrême peut provoquer. Rien de tel que de percer le mystère d’un individu, apprendre à connaître, échanger, partager. Mais je me tanne vite. Habituée à la nouveauté.
Être à la fois partout et nulle part affecte la profondeur de mes liens avec les gens. Fini le temps où nous étions l’ombre l’une de l’autre avec mes meilleures amies… où j’avais des meilleures amies. Où j’accompagnais mes parents partout. Je ne suis pas celle sur qui on peut toujours compter. La fille next door.
Je suis lointaine, à demi-effacée, juste assez impliquée pour qu’on ne m’oublie pas.