Captif, entre les planches du mur de ta chambre, je suis ton journal, celui qui cache tes dénonciations et ta langue d’injustice.
Je te pardonne la peur qui t’obligeait à me dissimuler, la crainte de subir les violences qu’aurait entraînées la lecture de nos vérités.
dehors
la rivière déborde
quelques cascades encore
et je serai muet
Talia? L’inondation m’épuise.
nos mots enfermés
submergés de honte
Je ne sais combien de temps a duré mon emmurement… des semaines, des années? Tu ne m’as jamais appris à compter. Je croupissais là, entre les fentes de tes barricades, avant le débordement. Tu es partie, sans me soustraire à ces chaînes, avant que l’eau ne m’atteigne.
nos secrets se putréfient par la force de l’eau qui me noie
délaissé
je cherche la raison
Talia? Moi aussi, j’ai peur.
mes pages
affirmées d’encre
se désagrègent
au rythme des canons et des dictatures
J’aimais ta plume, voir naître tes mots au fil de mes pages. Tu rêvais d’un ailleurs, là où l’on écrit sans craindre. Là où les gens lisent, de leur voiture, des panneaux publicitaires. Tu le savais! Ton discours se devait de vivre en moi, dans les larmes de notre pays, à travers les paroles que tu me confiais. Mais tu es partie…
les planches se fendent
la rivière se déchaîne
éventre mon tombeau
Talia? Était-ce ton souhait?
nos mots
effacés
par les flots
Tu me haïssais?
À chaque relecture, tu me maudissais. D’un geste de colère, me réemprisonnais. Et j’attendais… toi, la rivière, ou quelqu’un qui viendrait lire…
nos phrases en poignard
celles qui subsistaient encore
avant la noyade
Je n’ai plus la décence de retenir nos pages. Je ne suis plus que le cuir de ma couverture, où ton prénom reste gravé.
Talia… je regrette.
Ils t’auraient incarcérée, tout comme toi m’enfermais.
mes feuilles imbibées
redevenues blanches
s’éloignent
éparses
disparaissent
Je ne conserve de toi que le souvenir de ce que nous aurions pu ensemble divulguer. Si seulement on m’avait trouvé à temps. En me délaissant, tu t’es affranchie de mon poids et de ta peur.
à présent
je suis rivière
et
tu es libre
j’espère
Puis, quelqu’un est venu. Trop tard. Tout ce que je peux lui léguer c’est ton prénom gravé. Talia… bâillonnée dans le cuir de ma couverture.
Ailleurs, en bordure d’autoroute, ma photo sur un panneau publicitaire. J’aurais souhaité que mon image serve davantage la mémoire de nos violences, mais, en grosses lettres, on peut y lire : « Aidez les sinistrés! » Je fulmine à cette inondation d’insouciance.
Talia? Je n’en peux plus, du silence.
dehors
la rivière coule
encore
Les gens, dans leurs voitures, n’ont pas le temps pour les mots.
Soumis à leur vacarme, il faudrait crier.
pourtant
près du panneau
quelqu’un s’est arrêté
et pleure
ce que de nous
il ne lira jamais