J’ai pris le thé avec un vieil ami. Nous avons parlé, un peu amers sans être aigris, du savoir par accumulation des animaux d’expérience. Il a perdu sa femme au nord, qui n’est pas le seul point cardinal où se perdre : moi-même j’ai égaré mes gants dans l’eau de vaisselle et en toutes sortes d’endroits, mais rarement la nuit. Quelques jours plus tard, me voici à déambuler dans les rues vides d’une petite ville incrustée dans les montagnes, près du fleuve. Les décorations de Noël y brillent pour elles-mêmes : plus que de la fête, elles semblent faire la promotion d’une vie de calme et de repli. Je passe le plus clair de mon temps seule, recroquevillée dans la chambre à vider des sacs de chips, mais je pense tout de même à toi (je panse est un lapsus que je préserve), je guéris de ne pas vouloir te quitter, de cela j’ai parlé à l’ami : je ne veux pas te quitter. C’est un jeu de haut niveau, car si nous jetions un sou dans la jarre chaque fois que nous soupirons, nous aurions de quoi payer le lait du mois. (Je ne pourrai pas garder cela dans le poème, pas plus que cette image où tu apparais t’allongeant dans la neige alors que la maison s’écroule autour de nous). L’ami, lui, a pleuré chaque jour pendant toute une année, il ne dormait plus, les machines devenaient malades en sa présence, les imprimantes ralenties imprimaient des factures qu’il émettait et payait lui-même avec sa carte de crédit.
Faut-il à ce point détester ce que l’on aime ? Ta fourrure m’émeut pourtant, mais je crains de rester piégée en haut de l’échelle, qu’elle se replie sous moi et me laisse suspendue à la fine fleur de ton cuir, dans le souffle coupé de me savoir en chute. Regarde l’étendue de nos doléances : dure et lisse comme une époxy, encombrée de meubles défoncés. Sens la poussière. As-tu déjà pensé que nous puissions respirer autrement ? Un lacet remonte la trachée, s’enroule autour de la langue — un rôti fumant, lèche, lèche et racle la peau sensible, enflée, au creux de l’aine. On dit qu’il suffit d’armer la patience et de fermer les yeux, que les vents viennent à ceux qui savent dériver, or je doute que nous existions ailleurs que dans l’impatience et dans les excuses polies que nous offrons pour justifier nos retards.