La durée façonne le bonheur dans un enchaînement de détails insignifiants. Les répétitions de mots et gestes font résonner dans nos chairs des événements passés pendant que nous accomplissons de nouveaux pas.
La perception du temps aide à se sentir vivant. Les ressentis de l’instant font échos à notre mémoire corporelle. Embrasser, goûter, regarder et entendre nous ramène à la mémoire des personnes qui nous sont chères.
Marie-Ève tombe malade. Des symptômes gênants. Des douleurs. De l’insomnie. De la fatigue. Une série de rendez-vous médicaux, d’examens, d’opérations. Traitements à l’hôpital, médicaments à la maison. Le corps travaille à ralentir sa dégénérescence, discute avec lui-même, son propre ennemi.
Geneviève apprend à aimer Marie-Ève malade. Elle scrute son organisme défaillant. Elle la soutient, la soigne. Comme un simulacre divin, Geneviève contemple la chair de Marie-Ève se transformer, en lutte contre le temps. À l’appartement, elle capte souillure et puanteur. Dans les bureaux des médecins, elle s’informe des coupes, des rafistolages et des nouveaux ponts entre les tuyaux, pour que Marie-Ève fonctionne comme avant. Geneviève se passionne pour sa fragile humanité.
Dans un coin de sa pensée, Geneviève conserve l’image de Marie-Ève à leur rencontre au pub Griendel. Aujourd’hui, ce souvenir se superpose avec sa minutieuse observation de sa compagne, de sa lente métamorphose biologique.
Pour alimenter encore et encore ses souvenirs de Marie-Ève, Geneviève me rejoint au pub Griendel, elle me raconte son amie, et me transmet quelquefois de nouvelles commandes de courses. Mon rôle de personnage devient celui du témoin d’un récit tristement sensuel.
[La suite, bientôt… à la trace 11 !]