Le premier soir, on s’est couvert de je t’aime. Pour se calmer le dedans, combler les trous du trop-plein de manque. On ne savait pas que ça finirait par nous avaler.
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Nuit blanche. La clarté se faufile à travers les rideaux. Dans la fourrure rouge de l’aube, tu m’étreins de tout ton corps. Tes ongles balaient ma peau. Je te chuchote de ne jamais arrêter. Parce que même si tantôt le jour va me rentrer dedans, dans tes bras, l’insomnie ne me dérange plus.
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Tous les matins de la fin de semaine, tu t’apprêtes à partir travailler au café. Dans la salle de bain, j’ai pris soin de mettre à ta disposition ton savon favori. Le savon à l’épinette blanche et au bois de cèdre. Même chez moi, je veux que tu gardes ton odeur. Je ne t’ai pas acheté de brosse à dents. Je préfère que tu prennes la mienne.
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Tu me dis que c’est trop. Trop vite pour toi, le savon qui t’appartient, le tiroir dans lequel je range tes bas et tes caleçons propres, la clé de mon appartement que je te confie. Pendant que tu parles, je tombe en morceaux à tes pieds. Te supplie de ne pas m’abandonner. Tu hésites. Soupires. À condition. Tu garderas uniquement le savon et les morceaux qui te plaisent le plus. Tu te penches et choisis ma bouche, mes seins, mes fesses et l’intérieur de mes cuisses.
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Viens. Viens chez moi. Ce soir oui ce soir. S’il-te-plait. Prends mes morceaux. Ma face ne dégoulinera pas. Je garderai mon cerveau dans ma tête. Je ne le perdrai pas c’est promis. On allumera les lumières de Noël accrochées aux murs de ma chambre. Ce sera doux. On aura les corps tièdes, les mains moites, les joues rouges. Comme des amants qui apprennent à se connaître.
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Je rêve souvent que tu plonges ta main dans ma poitrine, prends mon cœur et le portes dans le creux de tes paumes. Tu souris. Il est parfait. Petit, rouge et robuste. Tu le remets à sa place, dans ma cage thoracique, là où il m’appartient. Je rêve souvent que tu m’aimes ainsi.
Entière.
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Sur mon divan, je lis Au plexus de Marjolaine Beauchamp pendant que tu dessines le plan d’un chalet. Tu interromps ma lecture en approchant tes lèvres des miennes. Tes doigts glissent vers mon entrejambe. Mouvement de recul. Je te dis que je suis en train de lire. Tu me demandes si ça va. Je hoche la tête.
La vérité, c’est que je ne sais pas aimer. J’ai trop de corne sur le cœur.
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Dimanche. Je sors du lit, habillée de ta peau de conifères. Le café coule. Mes mains se réchauffent sur la tasse qui se remplit. Je te rejoins dans les couvertures. Tes yeux scrutent mon visage. S’arrête sur mes lèvres. Mes lèvres d’écorce. Tes dents en arrachent un bout. Le coince entre tes molaires. Mastique. Avale. Nos corps se mélangent. On s’aime comme des cannibales.
1 Un fragment de ce texte a remporté le prix de la Société Nationale de l’Est du Québec (SNEQ). L’extrait est disponible sur cette page : http://www.sneq.qc.ca/2018/11/29/presence-de-la-societe-au-salon-du-livre-de-rimouski-edition-2018/