J’ai peine à me reconnaître.
Ma peau semble parfaite. La poudre matifiante recouvre les fines cicatrices que m’ont laissées l’acné kystique. Mon teint s’est éclairci tout en perdant son aspect maladif, la frange relevée de mes cheveux révèle mes sourcils fraîchement épilés, mon front lisse, les balles d’azur de mes yeux bordés d’eye-liner.
mes repères tranchés
je suis un mélodrame fait chair
je m’arrache
enfin
à l’impuissance
je pars combattre
le feu pogné
dans le commencement de toute chose je me dissocie je
n’évolue que là
où je n’ai pas encore d’odeur
vierge
inviolé
inviolable
***
cette fois ça y est rien ne vient défaire ma chute
au centre
d’un plafond
haut comme celui d’une cathédrale. Une installation d’éclairages complexes déverse ses couleurs, les spots se croisent, se plient, se déplient, se mangent les uns les autres tandis que les corps se heurtent, se repoussent, s’attirent comme des aimants détraqués, s’embrassent, se frottent, se lèchent. Les langues se dardent, les mains agrippent les fesses, les rires assourdis sont lancés comme des malédictions. De là où je me trouve, accoudé au garde-fou surplombant la piste
j’observe
tous les crimes perpétrés
par les bouches
les lèvres et les flots
de bave
sur les organes de latex
j’observe
les pleurs
et les ballerines barbues
s’agiter
sous des beats nécrotiques
et leurs princes charmants
j’observe
les sexes
télépathes
un homme à peine plus vieux que moi se déhanche le long d’un pole, son crop top dévoilant ses abdos taillés au couteau et je ris
(je crache m’insinue je surgis je cache)
mes dernières volontés
derrière l’innocence
feinte
des faisceaux laser
– Rhum’n coke!
Le barman hoche la tête, sourire aux lèvres, et se lance d’une main experte dans la préparation du drink. Il sort une bouteille d’un petit réfrigérateur. S’arrête un instant. Me regarde. Enfonce la bouteille dans sa gorge en mimant la fellation, pour ensuite fièrement brandir la bouteille décapsulée.
Toilettes vaporwave criardes.
Des statues d’imitation antique, tournées face au mur, tiennent lieu d’urinoirs, et des ouvertures circulaires permettent de leur pisser dans le cul. Je contourne d’un pas délicat la statue la plus proche, à l’avant d’une rangée qui en compte une bonne demi-douzaine. Visage générique, inexpressif, dépourvu de finesse – les saillies, les courbes des membres et des muscles semblent avoir fait l’objet de tous les soins.
un glapissement s’échappe d’une cabine
la pièce se gorge
d’animaux disloqués
tentant
vainement
de paraître
humains
je regarde les effets spéciaux fourrer entre eux
en me crossant dans un coin
***
Étourdi. Tellement étourdi.
Les boutons de ma chemise sautent comme des balles de mitraillette. Une langue s’écoule, fleuve bouillant sur ma peau. Un autre bouton saute, puis un autre, puis un autre. Ça n’arrête jamais, ma chemise s’allonge jusqu’à traverser le sol et s’enraciner six pieds sous terre
ma substance persiste sous forme de particules éparses tandis que s’amorce la fluctuation des traumas
je suis saoul
je refuse la stabilité
je perpétue la marche et ses trébuchements
je n’ai plus ni bras ni jambes
seulement un amas indémêlable de pattes et d’appendices recourbés
mon visage
fendu par le centre
laisse pendre la masse gélatineuse
du cerveau
rendu inutile
je suis ailleurs
***
jardins de vierges assassinées déchirure et images d’hôpital
la scission des ventres arrache les foetus
captés live
le temps d’un selfie
blondes rôties, parfum d’auto-stop d’enfance vomitoires
trois hommes au visage partiellement masqué
habillent le cadavre
de leurs amours poudreuses
taxidermie mon infortune
entrecoupée vocables meurtrières
pinçage extraction du cœur à la pioche
les viscères traînent derrière elles
l’excès et le vagissement des heures
mouvance souffles débordements des bancs de parc et des lampadaires toxiques j’accueille le mouvement perpétuel il est désormais impossible de me localiser je me cache dans la blessure de toutes les villes de toutes les peaux un effet cheap généré pour recouvrir mon visage balafré aussi fixe que le viol je me creuse un tombeau avant-gardiste au milieu des passants anonyme je porte la ville comme un manteau de vapeur transitoire
rétromanie dissonante obscure métissage psychosomatique improbables morceaux virtuels de mon enfance
je cours la densité
des reverbs
sous des rythmes hallucinatoires et cinématiques
et mon coeur bat
en percussions de breakbeat synchronisés
à 160 bpm
Québec ville néo-gothique
le métal de ses mendiants
ses flaques de macadam
ses techno-vampires
ses jardins de bars boueux
ses ecchymoses brouillées
ses toitures mémorielles
ses gouttières brisées
je suis partout
en crescendo
***
au bout de la nuit j’émerge
parodie nostalgique de moi-même