Une nouvelle de Sharon Bala.
Traduit de l’anglais par Jean-Marcel Morlat.
- Désirer
Les pierres colorées scintillaient. La lumière de la lampe étincelait sur leurs surfaces biseautées, invitant à la curiosité. Mais à mesure que l’enfant se rapprochait, les yeux écarquillés, sa mère déplaça les trésors hors de portée. Le mouvement fut fluide, réalisé sans cesser le maquillage ou la conversation.
La femme jeta un coup d’œil dans le miroir à l’homme qui se tenait derrière elle. « Un courriel très ferme devrait régler le problème. »
« Prends-moi ! Prends-moi ! » exigea l’enfant, se dirigeant vers son père à pas hésitants.
« Ces gars-là jouent dur. » Il se baissa pour faire plaisir à sa fille, puis fit rapidement un pas de côté lorsqu’elle tendit le bras vers le fruit défendu. « Je ne pense pas qu’un courriel suffira. »
« Alors tu vas devoir parler avec eux en personne. » Elle examina le contenu de l’assiette à bijoux, considérant ses options.
Hypnotisés, les yeux de l’enfant suivirent la progression des minces doigts tandis qu’ils choisissaient un lourd collier, le regardant s’enrouler autour du sombre cou de sa mère.
Elle tendit la main pour toucher les babioles brillantes. « Maman, je peux ? »
La voix de son père couvrit son ton plaintif. « Demain alors. »
Il déplaça l’enfant sur son autre hanche, puis dans ses bras ; elle fut ensuite emportée, une main dodue toujours tendue.
Dans le miroir, l’enfant vit sa mère secouer la tête. « Peut-être quand tu seras un peu plus vieille, ma chérie. »
- Envier
Sur une assiette parsemée de baies et arrosée de sirop, la femme disposa les gaufres. « Déjeuner ? »
« Peux pas. Suis en retard. » Son mari, tête tournée, versait du café dans un thermos, prenant soin de ne pas en renverser sur son costume à rayures.
« Aujourd’hui, c’est le grand exposé ? »
Il émit un son évasif et tapota ses poches à la recherche de ses clés.
« Tu vas être formidable. » Dans son imagination, il se tenait à l’avant d’une salle de réunion, citant des chiffres en toute confiance et impressionnant clients et collègues avec ses connaissances. Bien qu’elle n’eût jamais vu cet aspect de sa vie, elle pouvait l’imaginer clairement.
« Quand rentres-tu à la maison ? » Ayant localisé les clés, il se dirigeait vers la porte.
« Il se peut que les gars et moi on passe au pub, si tout va bien. Ne m’attends pas. »
« J’ai fait cirer tes chaussures », dit-elle alors qu’il glissait ses pieds dans une autre paire. »
Il sourit distraitement, l’esprit déjà tourné vers la journée qui s’annonçait. « Merci, chérie. À ce soir. »
Enveloppée dans son peignoir dans la cuisine baignée de soleil, elle le surveilla par la fenêtre jusqu’à ce qu’il soit avalé par la foule, tous se rendant en masse dans des tours à bureaux pour rejoindre leurs collègues devant des fontaines et des bureaux à cloisons.
L’offrande du matin, inaperçue et intacte, fut jetée à la poubelle.
- Aspirer
L’assistant subalterne se tenait au-dessus de la photocopieuse, son visage illuminé par la lueur verte. Le local de reprographie était surchauffé. L’humidité s’accumulait sous ses bras et souillait sa chemise. Le ronronnement de la machine le rendait somnolent.
Il était coincé dans ce placard à balais depuis une heure, surveillant la machine à mesure qu’elle copiait, assemblait et agrafait. Il se demanda si son patron le cherchait ou si sa longue absence était passée inaperçue.
La pièce était remplie d’anachronismes : des classeurs débordant de paperasse datant d’une époque antérieure à l’archivage électronique; des étagères garnies de bouteilles de correcteur liquide non ouvertes; des albums photo d’anciennes fêtes de bureau; des piles d’enveloppes et de papier à en-tête arborant une marque périmée. Il se sentit nouveau en comparaison.
Paresseusement, il feuilleta une pile de copies fraîches, encore chaudes de la machine : des biographies des dirigeants de la société. Sur leurs sourires assurés, il supposait des collections de vieilles voitures et des vacances de ski dans les Alpes. Autrefois, ils avaient tous attendu leur tour devant une photocopieuse.
Par la porte, il vit l’air bravache de son patron qui passait et eut un sourire en coin.
- Désirer sexuellement
En entrant dans le gymnase — orné de banderoles et d’un éclairage d’ambiance —, l’adolescente inspecta la pièce, lissant consciemment sa jupe. Un simple coup d’œil vers la piste de danse confirma que sa tenue était démodée, que les heures de préparation étaient un gâchis. Le style ample était passé de mode; les tenues moulantes étaient dans le vent. Bien beau tout ça pour les filles maigres comme un clou, mais moins flatteur pour celles qui portent vingt-cinq livres en trop. Trente avec de l’honnêteté.
« Te voilà ! » Une jolie fille apparut à ses côtés. À l’instar de leurs camarades de classe, elle avait respecté le code vestimentaire, silhouette renversante aux boucles dénouées et moulée dans le satin.
En touchant son chignon — un autre faux pas —, l’adolescente se sentit découragée. La personne pour qui elle avait déployé tous ses efforts ne le remarquerait jamais.
Son amie lui donna un petit coup de coude. « Il est là ! »
Nul besoin de demander qui il était. Grand, brun, avec des fossettes. Le plus beau garçon de la classe. Elles l’observèrent tandis qu’il se frayait un passage sur la piste de danse, ses yeux bleus scrutant la pièce. Espionnant le duo, son visage se fendit d’un large sourire. Sa démarche devint déterminée. Il se dirigeait vers elles et son choix était évident.
Le cœur de l’adolescente s’effondra. Tandis que la piste de danse se divisait pour faire place au couple, elle s’appuya contre le mur pour être davantage à l’aise. En les regardant avec envie, elle s’imagina à sa place, les bras autour de la déesse en satin.
- Jalouser
Attendant au passage pour piétons, la femme parcourut les messages sur son BlackBerry. Les pouces sur le pilote automatique, elle répondit à la suite de questions par de brèves formules.
Lorsque le feu passa au vert, une foule d’étudiants, tout juste sortis d’une classe, se matérialisa autour d’elle. Leur conversation était bruyante, brisant sa concentration. À contrecœur, elle rangea son téléphone et se laissa emporter par leur courant bavard, comme si elle écoutait aux portes. Elle reconnut des accents et imagina des récits de vie.
« Cravate noire, déclara la fille de l’ouest de Londres. Dis-lui de porter une robe de cocktail. »
Née de parents avocats et élevée dans du coton à Chelsea.
« Peux-tu l’appeler, s’il-te-plaît ? » implora le garçon à l’accent écossais. C’était un étranger dans cet environnement privilégié. « Elle veut savoir quoi porter. »
« Il le prend si mal. C’est comme si tu l’avais réellement giflé. » Une conversation différente entre deux garçons des Midlands1.
« Je ne peux absolument pas me tromper dans ce séminaire », acquiesça son compagnon.
Des fils de magnats de l’acier qui s’étaient rencontrés à Eton.
La bibliothèque apparut — une structure imposante avec de hautes flèches gothiques. La femme hésita tandis que les étudiants continuaient d’avancer. Arrêtée, elle regarda leur silhouette rapetisser puis disparaître à travers la voûte de pierre.
Le téléphone sonna deux fois avant qu’elle ne l’entende.
- Se languir
Winnie l’ourson et ses amis étaient au terme d’une autre aventure. Le gardien d’enfants ferma doucement le livre et jeta un coup d’œil à l’enfant endormie. Seulement trois récitations et elle s’était assoupie. Un nouveau record.
Après avoir extrait avec précaution le gobelet d’une poigne molle et éteint la lampe, il sortit de la pièce sur la pointe des pieds. Dans la cuisine, il trouva ses textes éparpillés sur la table, les équations complexes attendant patiemment. Leurs symboles indéchiffrables le narguaient tandis que la panique remplaçait toute pensée cohérente. L’examen final était demain. Un semestre de procrastination l’avait finalement rattrapé. Il sentit son avenir — autrefois une chose solide et scintillante — se dissoudre. Si seulement il pouvait recommencer. Choisir un autre domaine d’études, assister à tous les séminaires, suivre le rythme des lectures. Il pensa à sa responsabilité, en haut. La simplicité de l’enfance : emmitouflée dans du pastel avec le réconfort d’un ourson en peluche et la sérénité de son propre pouce.
1 Comtés du centre de l’Angleterre.
À propos du traducteur.
Jean-Marcel Morlat est né à Paris et réside dans la région d’Ottawa depuis 2010 après avoir vécu et enseigné dans de nombreux pays (France, Angleterre, USA, Japon, Turquie, Tanzanie et Émirats Arabes Unis). Il a traduit le livre de Philippe Wamba : Parenté : l’Odyssée d’une famille en Afrique et en Amérique (2016). Il a aussi traduit des nouvelles d’auteurs anglophones (USA, Angleterre, Australie et Canada) parues dans X Y Z : la revue de la nouvelle, Traversées, L’Ampoule, Revue Phoenix : cahiers littéraires internationaux et Revue Rue Saint Ambroise.