L’aube n’intéresse personne. Qu’ils dorment. Moi je fume des joints et j’écris. S’ils savaient les couleurs que je vois dans mon insomnie. Les paquebots qui passent sur le fleuve sans faire de bruit. Leurs cargaisons multicolores dans le brouillard strié de fines gouttelettes pastel. Qu’ils se lovent et s’entortillent dans les replis tortueux des draps, moi je divague en m’intoxiquant de caféine, j’invente des personnages qui me ressemblent sans me ressembler, des histoires qui tournent en rond, qui se répètent sans se répéter, entre deux nuages de fumée, je ne vais nulle part, je reste ici, bien plantée dans mon canapé, j’échafaude des dialogues que j’aurais aimé échanger dans une autre vie, dans une autre moi.
Dehors, le quartier est si tranquille qu’on le croirait mort, vaincu. Aux fenêtres, personne, et aux balcons, il ne reste plus que des cendriers qui débordent et des cannettes aplaties. Où est donc passée la fête? La musique, les chaises qui volent, les briquets, les filles aux paupières de jade qui parlent à voix basse, les garçons aux idées surprenantes et la lune aux contours de fusain?
Dans un instant, le quartier s’ébranlera, les voitures et leurs maîtres sortiront de leur torpeur. La grande machine s’engrangera, l’horloge aux hachoirs tranchants. Le boulanger débarrera la porte de l’échoppe, la lumière éclaboussera les trottoirs comme du feu liquide, les oiseaux chieront du haut des lampadaires, et j’aurai bu toute la cafetière. Le silence sera rompu, le vide rempli, la nuit scellée.
L’aube n’intéresse personne. Qu’ils ronflent et bavent sur leur oreiller. Moi je reste ici. J’attends mon aurore latente.