j’ai l’impression que je devrais dire quelque chose dire dire quelque quelque chose dire quelque chose dire dire
Période d’arts plastiques. Je fais le dessin d’une sirène aux cheveux longs. Je recule la tête pour avoir une meilleure vue : en bordure de mon œuvre, j’ai une conscience diffuse de la vie qui pulse dans la salle de classe, de la voix du professeur épuisé à force de discipliner la table du fond, s’efforçant de nettoyer les coulisses de gouache à mesure qu’elles se forment, de V. qui a pris le contrôle du stéréo et beugle la dernière toune de Lady Gaga par-dessus les speakers.
J’ai presque terminé : plus que quelques coups de crayons…
À ma gauche, T. s’égosille avec sa paire de ciseau. Rien ne semble aller pour lui : il bougonne, se tortille dans tous les sens, sa table de travail se retrouve toute poisseuse, recouverte de paillettes et de colle liquide. Il tend le cou vers mon dessin. Un sourire narquois se forme sur son visage constellé de taches de rousseur. Il faut bien qu’il y ait un sourire narquois impliqué dans l’histoire. Sinon, comment expliquer ma peau
débordant soudain par
milliers
d’histoires à faire peur
l’impression que je devrais dire quelque
– Moi, là, susurre T. à mon oreille tandis que je garde les yeux rivés sur mon ouvrage, je suis sûr que t’as rien entre les jambes. T’as juste un trou. Avec pas d’boules au boutte. On va-tu vérifier ?
chosedirequelquechosedirequelquechose
T. a raison, j’habite l’espace négatif de ma présence et je suis un trou strié d’éclairs jaunâtres dans le chahut de la salle de classe.
Je me dépouille de mon corps, de mon humanité.
Ma gorge est une illusion
***
Du reste, je ne me rappelle que de T. et de ses trois acolytes qui m’attendaient sur le sentier boisé que j’empruntais chaque jour pour rentrer chez moi.
Je ne me rappelle que d’eux.
Et du goût de leur pisse.
***
Juste quand je croyais enfin être ailleurs, bien à l’abri au creux des monstres familiers, la cour d’école se reconfigure autour de moi sous de nouvelles formes.
DES HOMMES DÉGUISÉS EN FEMMES !
Les grands titres crient plus fort que moi.
Cette fois, on a remplacé les bricolages et les games de ballon-chasseur par des piles de journaux graisseux, distribués dans tous les stands à burger et tous les dépanneurs. J’ai beau chercher à me convaincre du contraire, je sais qu’il s’agit de la même chose, je reconnais cette pièce awkward pour y avoir déjà joué tout mon sang. Seulement, le monde a maintenant rétréci et s’est enroulé autour de mes jeux d’enfant avec tout le sadisme d’un corset médiéval.
Les contorsions intellectuelles, les pirouettes stylistiques mesquines se substituent aux jérémiades des ados premiers de classe, capitaines de l’équipe de natation et imbus de leurs grosses mains mâles
qui doigtent
le trou de cul du monde
il faudrait que j’arrive à dire quelque chose pourquoi ne puis-je dire comment dire il faudrait que je dise quelque faudrait que je dise dise quelque chose il faudrait je veux juste
DIRE QUELQUE CHOSE
fuckboys and TERFs
n’allez pas croire que le corset du monde soit bien ajusté
aux corps morts
comme le mien
à nouveau ma peau déborde
d’histoires à faire peur par milliers
pendant que je quitte ma chambre par l’embrasure
des images
j’arriverai quelque part
je ne sais où
mais j’arriverai foudroyant.e
las.se de toute cette cum
et des fleurs amputées d’ivresse
je contemplerai l’aube avec
le col de ma bouche
et l’ardeur sèche de mes yeux
je ne dessinerai plus de sirènes
car j’en serai désormais une
ma gorge arachnéenne s’abattra sur vos piles de papiers
ma langue léchera vos plot holes
et j’irai empaler ma puberté
sur un pic de clôture
pour faire bander les TERFs
(quand j’arriverai
enfin à dire quelque chose)
***
en talons hauts, sans rien d’autre
je marcherai dans les rues de la ville
sourde sera la plainte du garçon libre
de ses chairs techniques
rien ne retiendra l’explosion des pudeurs périmées
quand je lancerai mes mains dans l’univers
elles me reviendront chargées de monstres sacrés
j’irai ivre du crachat des speakers
vulnérable en dolby surround
il ne restera plus que les comètes à rassurer
j’aurai des antennes neuves pour lire dans l’agonie des insectes
de la terre sous les ongles
l’insolence de ma tête en bandoulière
dans la rue les lampadaires ridicules rugiront
jaloux
sous l’éclat subreptice
de ma peau nue
et veilleront sur mon sommeil
pour la dernière fois je dirai
Excuse my beauty