Il est là, tout juste derrière mon occiput, à m’épier quand j’écris. Pourtant, chaque fois que je me retourne, il a disparu, si bien que je doute parfois de son existence. Mais je n’ai qu’à me repencher sur mon texte pour sentir de nouveau son souffle sur ma nuque. Alors je me résigne à devoir vivre avec son regard, ce qui n’est pas si difficile puisqu’il n’émet aucun commentaire sur mon travail. Il se contente de peu, ne mange et ne bois que lorsque je suis parti car je ne l’ai jamais entendu mastiquer ou déglutir. J’ai fini par me convaincre de le laisser faire sa petite affaire puisque cela semble l’amuser, et je réussis maintenant à l’oublier, parfois pendant des heures, m’étant habitué à sa présence tranquille.
Au début, j’avais tendance à lui parler. Je lui demandais son avis sur tel ou tel passage, l’invitais à me dire ce qu’il pensait de tel ou tel personnage. Ses réponses demeuraient vagues, parfois même contradictoires, et j’ai vite compris que je ne pouvais pas lui faire confiance. Mais comme je ne voulais pas me le mettre à dos, je faisais semblant d’acquiescer même à ses remarques les plus insensées.
Un jour, il m’a balancé une petite phrase de rien du tout, et ce fut la dernière fois que nous nous sommes adressé la parole. Il m’a dit tu sais, moi non plus je n’ai pas besoin de toi. Le texte me suffit. Je me suis arrêté d’écrire, parce que pour une fois, ce qu’il avançait avait du sens. Peut-être a-t-il vu le reflet de mon sourire dans l’écran de mon ordinateur. Comme nous nous entendions sur l’essentiel, nous n’allions plus nous parler qu’à travers les mots qui s’alignaient devant nos yeux.