je traîne sur mon dos mon enfance peut-être

mon village surtout

 

mes essentiels de chasse

pour capter au vol

l’essence de mon identité

 

au coin de la rue mon premier baiser

m’envoie la main

je revois maman qui nous espionnait par la fenêtre

c’était sûrement en 2006

on jouait à botte la canisse chez Tommy rue des Bocages

 

au-delà du chemin de fer

je me rappelle nos brosses aux Budweisers

volées dans le frigo de nos parents

nos vélos dans le fossé

immense feu dans le terrain vague

des gens de tous les quartiers venaient

 

on existait brillants

jusqu’au matin

*

j’accède à l’autoroute par la sortie Jean-Gauvin

il me reste pourtant tellement

de rivières à creuser

de pissenlits à arracher

 

mon dos gravité se courbe

mes vertèbres désordonnées se chevauchent

à force de tenir mes sacs

mes innombrables sacs

me sont-ils utiles

tout cela

m’est-il utile

 

hier encore j’étais au sous-sol

à l’abri d’une carrière à inventer

hier encore ma plus grande joie

était de chercher les salamandres

sous les roches humides du bocage

*

j’entame la traversée de la sortie Le Gendre

on s’était couchés ici une nuit

juste comme ça

sans se le dire

on s’était mis à pleurer

en écoutant Damien Rice

 

j’imagine que tu t’en souviens

on était chez nous dans le silence

 

plus je marche

plus nos nuits d’été de banlieue

me transpercent la peau

 

on en a vécu des choses ici

des discussions métaphysiques

des mojitos maison

des promenades sur le golf la nuit

 

la crainte que nos planchers défoncent

à force de trop danser

 

le nouvel IKEA me fait de l’œil

dire qu’ils ont coupé notre belle forêt

nos cabanes improvisées

nos trésors sédimentaires

nos oiseaux migrateurs

 

changés en labyrinthe

de consommation suédoise

 

au bord de l’autoroute

la rambarde me fait office de boussole

surtout ne pas la perdre de vue

 

je remarque des mots au sharpie

quelqu’un est passé avant moi

 

j’y laisse à mon tour

des vers de Marie Uguay

pour éclairer un prochain pèlerin

 

Tout un voyage est resté en nous

et notre rêve dérive

vers le reste du monde[1]

*

à la sortie Blaise-Pascal je laisse tomber un sac

le poids trop lourd écorche mes mains

je n’ai pas besoin de tout ça

je n’ai besoin que de mon corps en déplacement

 

te rappelles-tu tous les hot-dogs

mangés au Costco

après nos nuits arrosées

 

le plancher de ta caravane

imprégné sur mon visage

 

manger des hot-dogs

dans l’empire du format familial

rien de plus américain

et pourtant

 

ces moments étaient pour moi des continents

des pays entiers des villes

des endroits où planter le drapeau

de mes errances

*

à la sortie Dalton/Watt/Einstein je m’affole

tout le monde sait qu’il ne faut jamais prendre la sortie Dalton/Watt/Einstein

 

on ne sait pas ce qu’on peut y trouver

monstres d’acier géants

aires de jeux industrielles

hommes veston-cravate         pétrolières

prêts à nous lancer dans le vrai monde

 

j’ignore pourquoi je vais

pourquoi quitter le confort

m’embourber d’un loyer

 

peut-être pour l’humain tangible

le graffiti urbain

 

aligner des pots d’épice

sur mon propre four

 

nourrir des plantes

qui m’appartiennent

*

à l’avenue Nérée-Tremblay je pleure un peu

je pense à grand-papa et grand-maman

leurs cendres

gisant dans un bocal

 

c’était bien

quand grand-papa venait regarder les tomates

au potager familial

sa casquette réapparaît parfois

dans mes plus profondes fabulations

 

je la mets sur ma tête

pour poursuivre mon chemin

*

rue Frank-Carrel

ils ont ajouté une piste cyclable

je pédale comme au village

sans casque ni guidon

ivre comme lorsque je dévalais la côte

pour aller chez toi

 

par habitude je fais un détour rue Taillon

là où le fils de ma prof est décédé

 

il jouait au hockey avec mon frère

dans le temps où la maison de retraite

était encore un aréna

 

je dépose au sol

le reste de mes bagages

pour que lui aussi se confectionne

une petite maison en ville

*

au coin Charest/Langelier

j’approche dangereusement de mon existence

ici les humains sont concrets

ils ne jouent pas

ils assurent leur continuité

 

j’assumerai désormais la mienne

citadine entre quatre murs dépareillés

 

[1] Uguay, Marie. Poèmes. Montréal, Boréal Compact, 2005.