tu étais entre Marilyn Monroe et Marilyn Manson la quiétude et l’agressivité la soumission et la rébellion une belle anguille sous roche je t’admirais parce que justement tu n’étais pas qu’une tu étais plusieurs Dr. Jekyll and Mr. Hyde le côté givré et le côté blé entier des Mini-Wheats moi j’étais juste le blé entier on s’entend-tu que tout le monde haït ça un bol de Weetabix ou de All-Bran à part si c’est pour une question de constipation et même encore tu portais des tuniques qui te donnaient des airs de hippie une fois je t’ai dit que tu ressemblais à Daria le personnage de dessin animé parce que tu étais souvent ironique et que tu montrais pas beaucoup tes émotions tu m’as répondu que tu étais au contraire très sensible trop tard je t’avais froissée j’étais con dans le temps même si j’étais jeune j’aurais dû savoir qu’une poète dans l’âme était toujours à fleur de peau tu écrivais des poèmes des nouvelles je pense que tu as publié quelques textes dans Le jour un le fabulous wonderful extraordinary over the top journal étudiant de la Polyvalente des Abénaquis as-tu déjà été Monsieur Abénaquis cette personnalité mystérieuse qui signait des éditoriaux engagés et des articles politiques revendicateurs même sur des questions qui concernaient l’école et la vie étudiante j’ai publié un texte à un moment donné sous le fameux pseudonyme pour dénoncer la malpropreté des toilettes des gars c’était rendu qu’il y avait de la marde dans les lavabos et de la pisse partout sauf dans les bols mon texte a rien changé les toilettes sont restées toujours aussi dégueulasses pendant tout le reste du secondaire s’il y a de quoi c’était pire c’est à se demander si le ménage était fait dans cette école de fous je suis sûr que c’est encore pareil aujourd’hui de toute façon l’une des grandes lois en ce bas monde c’est que les gars sont pas capables de pisser dans la bol ou trop orthos pour le faire comme si la toilette était trop petite ou leur queue trop grosse j’opte plutôt pour la première option personne viendra me faire croire que tous les mecs ont une queue de douze pouces et que la bol est pas assez grande pour leur graine qui je suis sûr serait peut-être pas assez belle pour me faire bander dans tous les cas ça reste à voir Le jour un j’ai inondé le journal de mes nouvelles de mes contes de mes poèmes et de mes aphorismes je me prenais pour un grand moraliste La Bruyère version fond de rang attardé qui a un peu trop regardé de porno gaie sur Internet on se connectait ça faisait un bruit d’enfer dans le téléphone trois minutes pour télécharger une image d’un mec en train d’en sucer un autre qui souriait un peu bêtement comme Mère Teresa Lise Samson détestait mes textes surtout mes contes et mes nouvelles ça faisait pas assez xixe siècle pas assez classique genre une nouvelle avec une fin surprenante inattendue il y avait si peu d’opportunités si peu d’endroits pour se faire publier c’est toi je pense qui m’as parlé de Robert Fradette de Saint-Raphaël il dirigeait une petite société d’édition dans Bellechasse ça s’appelait AMÉCA c’était pas mal broche à foin son affaire le gars avait clairement l’air challengé mais on a attendu et on a fini par recevoir nos fucking brochures nos premiers textes étaient enfin publiés par une « maison d’édition reconnue » une section du site Internet de la Polyvalente des Abénaquis a même été consacrée à nos écrits c’était une victoire une première victoire dans cette Beauce d’une insignifiance crasse nos premiers pas en tant qu’auteurs moi depuis ce temps-là j’ai continué même si je me considère pas comme un écrivain et que je me considérerai jamais comme tel je préfère qu’on me réserve ce statut pour le moment où je serai mort pour moi le titre d’écrivain ne vient qu’avec la mort et la postérité et toi est-ce que tu écris encore qu’en est-il de tes rêves d’être publiée j’ai cru voir sur ton profil Facebook que tu as étudié à la Polytechnique en génie et la littérature elle l’écriture qu’est-ce que tu en fais les jours de grisaille de pluie intense est-ce que ça t’arrive comme moi de sortir un carnet et de noircir des pages même si c’est futile pour donner un peu de sens à ce bordel sans nom qu’on appelle parfois la vie est-ce que ça t’arrive les jours de mélancolie épouvantable où l’âme hésite entre se cloîtrer chez les carmélites et mettre la switch à off de vouloir écrire le réel question de savoir s’il existe vraiment question de savoir si tu as une vie écrire pour se donner une vie en consigner tous les événements les moindres éléments écrire écrire oui toujours écrire envers et contre tout surtout moi