Ce soir, je pars laver ma peine sur l’estran, crier à la vague ma colère, camouflée parmi les cris des goélands. Au-delà de la piqure des roches aigües, la boue. Crémeuse, elle se presse entre mes orteils, qui disparaissent dans cette pâte d’argile grise, succion délicieuse. Infusée dans tous les pores de la vase, l’eau habitée de vie enveloppe ma peau tiède. Mon corps tendu se ressaisit dans cet ancrage.

Debout, chanter avec la brise marine, laisser le souffle s’incarner en vocalises, les offrir aux couleurs du couchant, résonner du crâne jusque dans la plante, les chevilles chatouillées par les zostères.

Le flot, plantureux, vient noyer la batture jusqu’à mes cuisses gelées. Les zostères se déploient, cotillons de la grande fête estuarienne. Le frôlement de leurs rubans dérange ma chair engourdie, attire dans l’eau ma main qui part explorer leur luisante souplesse. Mes doigts y jouent, glissent dans ces verts. Désir d’y plonger tout mon corps, de parcourir la forêt en épinoche ou en littorine, désir d’ondulation, de tempête intime, de ballottement.