Cacouna, 17 octobre 2024

le bruit des mouches qui frappent dans la fenêtre, mon dialogue interne, mon combat, l’envie de sortir de la maison, d’ouvrir grand les bras, de laisser des morceaux de moi tomber dans les battures : c’est l’effet que me fait le fleuve, encore. je me réveille vers 11h, le silence du bord de l’eau qui plane dans ma tête, le réflexe toujours palpable de dormir plus longtemps que prévu. l’aventure du jour : aller chercher Vivaces à Rimouski avec A, l’avant dernier exemplaire disponible au Québec (le dernier est à Montréal).

Les pays se touchent

Les mers se mélangent

Entre les mots il faut toujours laisser un espace

Louise Warren est tombée sur mon chemin en octobre 2024 alors que je faisais une résidence d’écriture chez R et J. Vivaces faisait partie de leur bibliothèque et A et moi avons trouvé en ses lignes une source de fascination et d’inspiration qui nous a accompagnées lors de l’écriture de nos recueils respectifs cette semaine-là.

Vivaces est un atelier d’écriture mobile, un tarot littéraire avec lequel l’écrivain.e peut ouvrir ses possibles et se laisser emporter par la prose de Warren. ma façon de l’utiliser est assez simple : comme pour un tarot, je laisse d’abord mon énergie imprégner les cartes. je les brasse, je les colle, je prends conscience de leur existence. puis, je laisse la bonne carte venir à moi.

aujourd’hui, j’ai pigé La balançoire

tête renversée vert immense sur le ciel

[Prendre de la distance]

nous prenons la route vers midi, j’ai les mains pleines d’automne et ma voiture fait un bruit étrange. je change les vitesses lentement, je suis patiente, les herbes hautes frôlent la tôle dans le chemin menant à la 132. durant la semaine, A et moi avons développé une fascination pour la petite maison rouge située dans le dernier tournant du chemin. nous fabulons sur ses habitant.e.s, nous imaginons un vieux couple lesbien qui vient relaxer ici les fins de semaine. dans l’auto, nous écoutons le nouvel album d’avec pas d’casque, il fait juste assez frais, nous parlons de nos relations, de leurs hauts et de leurs bas (quelques mois plus tard, nous allions toutes les deux avoir mis un terme à notre couple respectif). dehors les couleurs deviennent éphémères, représentation de ce qui s’effrite et s’étiole, les humains comme des poignées de sable qui glissent entre les doigts, la volonté intérieure de reprendre le contrôle, de nous affirmer : laisser les feuilles tomber comme on accepte l’inévitable, la défaite.

après une heure dix de route, les paysages qui défilent, nous arrivons à Rimouski, allons nous procurer Vivaces à la librairie L’Alphabet, devons courir pour éviter la contravention de stationnement. le fond de l’air est froid et trempé, tout le fleuve rentre dans nos os. nous allons prendre un café avec J, puis nous nous dirigeons au bord de l’eau, au phare de la Pointe-au-Père. je tends une cigarette à A, qui la porte à sa bouche, silencieuse. nous restons là, assises devant le grand, le présage flou des fissures qui nous chuchote les libérations de l’hiver à venir. nous arrêtons à la poissonnerie pour le souper : lasagne aux fruits de mer et truite fumée.

Un artiste n’abandonne pas facilement ses objets

Temples miniatures dédiés au temps

sur le chemin du retour, Vivaces sur le siège arrière, le coucher de soleil qui nous éblouit au détour du Bic, nous parlons de nos adolescences, de nos familles, de nos amours de jeunesse. nous mettons l’album Labyrinthes de Malajube pour rentrer dans les feels, partageons l’intensité de la chanson Ursuline en brassant la tête. nous arrivons à la maison jaune vers 20h, le ciel est mauve et tout, vraiment tout, va rentrer dans l’ordre.