Ça crépite.

Du noir, du blanc et un horizon.

Un accent. Une époque révolue et un fleuve éternel.

Un homme frappe les flancs d’un cétacé éblouissant. Ce sont des retrouvailles, réminiscence d’un fleuve rouge.

 

Contre un phare blafard, la ville multicolore en face vibre. Entre nous glisse le courant vers l’est : pour moi c’est un dérèglement des sens.

Et le vent, la première caresse du fleuve. Un baptême qui fait fermer les yeux et tire de la mémoire des mots de chants dans toutes sortes d’accents. Des bourrasques charrient l’odeur du continent. Je suis une île face à une île, et le fleuve se veut tentaculaire, se partageant, comme pour donner à chacun sa part d’horizon et d’eau.

 

Même les rayons semblent gelés.

Nouveau vocabulaire du froid. Une route sillonne la forêt et, tout à coup, aboutit sur un chaos glacé. C’est bleu, lacté, gris, brisé par un cargo.

Ça ne sent pas encore, ça semble mort, ça ne sent rien et pourtant c’est un cœur.

Mon regard fasciné s’accroche aux lignes droites, courbes, cassées.

Je sens l’amour vibrer en moi comme un moteur de vieux paquebot.

Je sens l’amour sourdre en moi comme un bouscueil.

Je sens l’horizon m’englober, je sais que je reviendrai à la saison des odeurs, à la saison des couleurs.

 

À la sortie du village, sur la gauche, un petit chemin de terre mène à la batture.

Limon et soleil, piquets plantés dans la vase et plantes dont j’ignore encore les noms.

Un cabouron protège l’endroit.

Il faut marcher jusqu’à lui. Je remue malgré moi ce qui se pose, marée après marée, saison après saison : les limons, les scories des terres de l’Ouest s’agitent sous mes pas lourds et nus. Le continent pulse sous la plante de mes pieds. À portée du regard, l’amour caresse l’horizon. J’en entends la marche.

Et je finis par le rencontrer.

Et je finis par m’y plonger : l’eau est trouble comme toute chose en vie.

Elle est douce, chaude, et le courant m’emportera dans les perches. Envasé, j’attendrai que la marée me remette à flot. Mais les sens seront encore déréglés. Le ciel deviendra gris, mon corps s’alourdira. La vase virera au noir, mes bras seront nageoires. L’estran se fera blanc, mon nez sera évent. Pris au piège des fascines, je ne me débattrai pas. J’entendrai une voix grésillante que je commencerai à saisir sans les sous-titres. Je l’entendrai s’approcher dans les bruits de succion que feront ses bottes lorsqu’elles décolleront de la vase. Elles crépiteront comme un feu d’épinettes. Des images défileront : un chanteur qui ne connait rien, un cargo de glace, la croix du Mont-Royal, une tour vacillant sur la banquise.

L’homme se penchera, me tâtera les flancs et murmurera ces quelques mots que je comprendrai enfin : « Pour la suite du monde ».