Le marais salé pue l’œuf moisi. Ceux qui appellent le fleuve « la mer » croient un mensonge. Fleuve, river en anglais. Le Saint-Laurent n’est qu’une grande rivière, grande surtout à partir de Sainte-Flavie où le vent souffle, glacial, même l’été. Une grande rivière avec des baleines noires, des bélugas. Une rivière tout de même.

On m’a fraudée. Le Saint-Laurent m’a attirée à Rimouski en occultant ses arômes dociles. Je veux deviner dans l’air la morue des Grands bancs de Terre-Neuve, les hibiscus de la Guadeloupe, m’enivrer des horizons libres. Que la Côte-Nord disparaisse, que toutes les côtes disparaissent ! Je survole les éléments déchaînés. Je m’extasie de la tempête. J’en suis la cause. J’exige l’excès, l’infini, le démesuré. Je me cherche là où je peux exister, poisson comète de grands espaces, dans mes extrêmes incommodants.

***

Les étoiles de mer ne brillent pas. Je ne suis pas de ces astres à qui on confie un secret. Je ne veille sur personne. Manger : tout ce qui m’importe.

Des hommes m’ont arrachée de chez moi. Ils m’ont violée, glissant leurs doigts sales entre chacun de mes bras. Ils m’ont retournée dans tous les sens. Mon ventre, ma bouche, mon corps, poignardés. « C’est gluant que l’tabarnak, c’t’affaire-là », ont-ils craché en me lançant contre une roche. Je suffoquais, paralysée. Ils ont tout détruit.

 

petit pétoncle

je te pourchasserai

je te mangerai le cœur

rouge rouge la belle couleur

je te tuerai

asphyxié

je ne mens pas tu iras en enfer

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La sarracénie pourpre, plante carnivore, pousse dans les milieux marécageux en Nouvelle-Écosse. J’en ai vu près d’Halifax, au Cap-Breton et à la baie Sainte-Marie. Elle partage sa couleur avec les étoiles de mer de la Colombie-Britannique. L’océan Pacifique sent la cyprine et les algues marines. L’Atlantique a plutôt une odeur iodée, de poisson salé, d’ouragan à venir.

Le sel croûte sur ma tête et colle à mon visage, à mes bras dénudés. Je rêve aux îles du détroit de Géorgie, près de Vancouver, et je meurs de ne pas respirer maintenant les parfums pacifiques. Tout change trop vite.

Les autres petites filles couraient plus loin sur la plage. Elles riaient, jouaient, s’éclaboussaient en anglais, inaccessibles. J’observais à travers les vaguelettes les étoiles de mer soudées aux roches. Si on les sortait de l’eau trop longtemps, elles mouraient. Je n’y ai pas touché, mais la marée descendante les a dévoilées.

Elles scintillaient. Leur derme humide reflétait la lumière en constellations nouvelles. Et moi j’ai fait l’étoile, les deux pieds gelés dans l’eau, et je brillais avec elles dans le soleil couchant.