« It’s something unpredictable / But in the end it’s right / I hope you had the time of your life. »

– Green Day, Good Riddance (Time of Your Life)

Chaque fois que je sors du Canada, j’ai hâte d’y revenir. Ma maison ce n’est pas une maison, c’est un pays (Gilles Vigneault, Mon pays).

Il faut le parcourir pour saisir à quel point il est vaste. Avoir une vraie notion des distances. De Vancouver à Whitehorse, on roule aussi longtemps que pour atteindre l’Ontario. L’Ouest n’est pas si différent qu’on est porté à le croire, malgré l’immensité, la langue et l’héritage. Il y a des Canadian Tire, de la construction et des érables. On est fier de la poutine, même si le fromage ne fait pas squick squick, sauf au Dutchmen Dairy à Sicamous et Chez Serge à Kaslo.

À la première traversée, bien sûr, on visite les grandes attractions, ce qu’il faut voir à tout prix. On prend nos selfies. Comme tout le monde. On se fait asperger par les chutes Niagara, on assiste au Stampede, on photographie le Lac Louise, on goûte une barre Nanaimo à Nanaimo…

Ce sont en revanche les recoins, les hidden gems découverts au hasard qui nous marquent le plus, où se vivent les meilleures histoires. Ce resto sur Broadway dans East Van où purger les lendemains de veille en déjeunant pour 2,99 $, sirop de poteau, Frank’s Red Hot et café inclus. Ce sasquatch grandeur nature fait de bois de grève ou ces émeus de compagnie rencontrés lors d’une marche matinale en périphérie de Duncan, sur l’Île. Le secret d’une belle aventure? Aménager un espace de liberté et d’ouverture où l’imprévu peut naître.

Yours to Discover

Parcourir la route des vins à pied, entre le soleil plombant d’un midi de canicule et l’asphalte fumant s’avère trop ambitieux. Après quatre vignobles en quatre heures, on s’effondre dans le gazon, perdant la carte pendant une bonne demi-heure. Un seau d’eau aura finalement raison de ma face de marde. La Jordan Valley nous enchante malgré tout. On y découvre le Riesling Dolomite de Cave Spring Cellars et un havre de paix où finir ses vieux jours.

Au fil des kilomètres, on tisse des liens avec Julie, la voix du GPS. On longe les Grands Lacs depuis des heures sur la 17 sans jamais les voir et d’un coup PAF l’un d’eux encercle! De l’eau à perte de vue comme la mer.

Friendly Manitoba

Les pancartes parlent les deux langues officielles. Shania Twain accompagne notre entrée dans les prairies, où le gaz est abordable et où il paraît impossible de frapper un chevreuil tant on le verrait venir de loin. Des champs défilent de chaque côté de l’autoroute. L’infini a quelque chose d’apaisant.

Land of Living Skies

Deux fuseaux horaires plus loin, la Saturn reçue de mon père à la fin de mon bac tient toujours, un nouveau souvenir encastré dans le pare-brise. On chante Les Trois Accords dans les rues de Régina.

Wild Rose Country

Faute de marteau ou de meilleur outil, on plante les piquets de tente avec un chaudron, qui encore à ce jour en porte les marques. Le décalage horaire commence à se faire sentir, à moins que mes levers se soient simplement accordés au soleil. On prend les Rockies pour de lointains nuages jusqu’à ce qu’elles s’érigent en un mur droit devant, d’une beauté brute, aussi majestueuses que dans nos rêves.

On retrouve sur une terrasse mon Riesling de Cave Spring et mon ami P-O, exilé du Québec pour quelques années de bon temps. Il nous présente Banff, son paradis, en kayak sur la Bow River et du haut de la Tunnel Mountain. Ce village touristique se révèle un savant mélange de rustique, de moderne, de terroir, de sportif, d’amusant, de chic et de naturel. Et c’est me limiter aux adjectifs essentiels.

Beautiful British Columbia

Il faut autant de temps pour franchir les Rocheuses que le parc de La Vérendrye. C’est au BC qu’on découvre la cueillette sauvage et qu’on devient nomades, grâce à Marianne, une amie commune à P-O et moi croisée dans un McDo. Elle nous oriente vers les huckleberries au nord plutôt que les cerises de l’Okanagan. Une première déviation du plan initial à l’origine des huit prochaines années. Il y a tant à dire sur cette province qu’on explore de fond en comble saison par saison, et il en reste encore à découvrir.

Larger Than Life

On n’atteint le Yukon que plusieurs mois plus tard, dans la ruée vers la morille de feu. Cette fièvre qui déplace des centaines de personnes assoiffées d’aventure et d’argent. C’est l’immensité qui frappe d’abord, la grosse paix de la civilisation. Il faut défricher un espace dans la forêt brûlée, à proximité d’un ruisseau si possible, construire une structure pour la cuisine commune, fendre et corder ce qu’il reste de bois mort, prévoir un pit à feu, creuser un frigo protégé par des billots… et plus loin une toilette entourée de branches de cèdre pour l’odeur et l’intimité. Il faut s’habituer à la clarté éternelle, à la froideur des nuits.

Spectacular Northwest TerritoriesJamais je n’ai vu autant de bibittes qu’ici. Maringouins, mouches à chevreuil, brûlots ou no-see-ums visent les interstices dans l’espoir de mieux pénétrer nos défenses et trouver nos veines gonflées par cette lutte acharnée qu’on leur mène en mode ninja. Narines, oreilles, bouche et yeux assaillis dans un bourdonnement continu. Au bord de la crise de panique, on tente de les semer, de les étouffer avec une cigarette, on se frotte aux épinettes, jusqu’à se rendre à l’évidence: il faudra les endurer, car elles règnent en armées sur ce milieu humide. Les filets de protection se déchirent en quelques minutes de navigation entre les arbres. Seuls les vêtements longs, clairs et amples, le DEET ou une ultime tuerie le soir avant de dormir sous la tente accordent un peu de répit. Les bouses fibreuses et sèches laissées par les hordes de bisons sauvages le long de l’autoroute de terre aident aussi à les éloigner en brûlant dans le feu de camp. Un bain dans le Great Slave Lake pour se décrasser les pores et on repart vers d’autres aventures.