En tant qu’autrice, je me sais privilégiée. Libre d’aller et venir à ma guise, je voyage avec l’ambition de témoigner de la beauté et de la diversité des paysages et des cultures qui fleurissent autour du monde. Je suis pour ce faire soutenue et encouragée sur le sol où je suis née. D’autres n’ont pas cette chance.
J’ai comme toi constaté que nous, humain·e·s, sommes à la fois différent·e·s et pareil·le·s. Incarné·e·s de chair et de sang, nous cherchons avant tout à satisfaire des besoins fondamentaux qui nous fragilisent. Nous rêvons de nous sentir en sécurité, d’aimer, d’appartenir à quelque chose de plus grand que nous. De nous épanouir. À travers cette quête, nous expérimentons des obstacles et des défaites, des victoires éphémères et d’éternels recommencements. Nous souffrons. Certain·e·s plus que d’autres.
Plusieurs n’auront simplement jamais la possibilité de réaliser leur potentiel, de s’exprimer ou d’être entendu·e·s. D’autres le font ou essaient de le faire, envers et contre tout, et sont sévèrement réprimé·e·s ou puni·e·s pour cela. Ils et elles expérimentent la douleur dans leur chair et leur esprit pour leur seule divergence d’opinions ou de leur prise de position. Beaucoup sont privé·e·s de leur liberté, voire de leur vie.
Peux-tu concevoir être condamné·e à l’exil ou emprisonné·e pour avoir formulé ton désaccord avec une règle ou dénoncé une injustice ou un abus? Peux-tu te représenter bafoué·e, humilié·e, bâillonné·e, battu·e et torturé·e pour avoir cherché à exprimer ta différence ou pour avoir pris le risque de défendre une minorité?
Je t’invite à fermer les yeux un moment et à t’imaginer menacé·e ou puni·e pour avoir donné voix aux personnes qui n’en ont pas. Le visage tourné vers une fenêtre placée trop haut pour te permettre d’apercevoir l’extérieur, tu es privé·e de ta liberté et de la présence réconfortante de tes proches. Quelles émotions t’envahissent? Tu as peut-être peur? Es-tu en colère? Désespéré·e? Honteux·se? Résigné·e ou déterminé·e à te battre jusqu’au bout?
En rouvrant les yeux, je t’invite à déverser cette tempête d’émotions sur le papier, à tout mettre par écrit.
Notre capacité de solidarité concourt à la beauté de notre monde, même si celle-ci ne trouve parfois à s’exprimer que par l’empathie. Tu te crois peut-être dénué·e de pouvoir devant l’iniquité et l’abus, mais qu’arriverait-il si des milliers de personnes à travers le monde s’unissaient pour écrire une longue chaîne de textes dénonçant les injustices dont sont victimes certaines autres? Qu’arriverait-il si ces lettres étaient non seulement envoyées aux autorités responsables de manquements aux droits de la personne, mais également lues à voix haute dans les lieux publics de plusieurs pays à la fois?
Dans un État où la liberté d’expression va de soi, il est facile d’oublier que se réunir et s’exprimer est un privilège auquel nous choisissons parfois volontairement de renoncer. Parce que les inégalités foisonnent et tendent à se reproduire autant que la grâce et la générosité, AUCUN territoire n’est à l’abri de réprimer la liberté d’expression de sa population, à un moment ou à un autre de son histoire. En revanche, tant que l’humanité sera capable d’empathie et de solidarité, les bourreaux pourront tout prendre, mais ne captureront jamais nos mots.