petite
je m’introduisais dans une vache
elle se transformait en une cachette secrète
de là
je voyais tout
les secousses des vagues entre le nord et ici
ma foule intérieure insatiable
de tant de personnages que j’aurais aimé être
sur scène
une comique faisant hurler de rire des personnes par centaine
sur une toile
le portrait d’une femme protégée par un musée
sur papier
une artiste finlandaise se baignant près de son île
je nous entendais la vache et moi
nos échos comme deux êtres rassemblés
au fond de là
comme sous un doudou
de l’intérieur je prenais soin de la vache
je la caressais
ma main ondulant sur chacune de ses vertèbres
elle m’abritait de ses côtes
de son estomac
une enveloppe de papilles
au creux desquels j’inoculais des paysages
pendant que jour après jour
elle restait confinée là
seule et nombreuse à la fois
enchaînée à un poteau
je l’aimais délicatement
sans rien briser
comme on affectionne le fleuve malgré son odeur
elle incarnait ma tanière et moi son repas
je lui offrais l’impression d’un ventre plein
personne ne savait
je chérissais cet espace en secret
inquiète de briser la tradition selon laquelle
chacun conservait son rôle
depuis quatre générations humaines
les vaches produisaient du lait et nous
les faisions ruminer suffisamment jusqu’à pouvoir les traire
pour le maintien ou l’augmentation du rendement laitier
lorsque mon père inséminait la vache
ça m’affectait
j’avais peur qu’un veau prenne ma place
mes tâches agricoles complétées
je sortais de mon refuge
prenais la route vers la maison et me terrais dans la cave
ma solitude s’apparentait à celle des vaches
enchaînées côtes-à-côtes
s’agrippant au vertige
du temps et des grains de moulée qui chutaient sous leur museau
mes sœurs et mon frère
riaient, criaient, couraient autour de moi
tout ça m’atrophiait l’imaginaire
j’étais un germe
entre les roches qui se maintiennent au sol
seule face à l’étendue verdoyante
coincée
entre mon père
qui voulait toujours plus de lait et ma mère qui
entretenait une peur irrationnelle des vaches
le troupeau entier
je le libérais
les vaches se remémoraient
le paquage, la rivière, les oiseaux, la pluie, les arbres, le vent
je leur ouvrais la porte vers dehors
en passant par l’intérieur de la vache
j’y invitais le bleu du ciel de midi
l’herbe garnie de trèfles
et elles cabriolaient de satisfaction