Je m’enroule par les extrémités, fougère sensible. J’accède brin par brin à l’arrière de ma tête, cet endroit liquide où je me diffracte et qui fait peur. Le tambour de l’oreille déboule vers l’estomac, le ventre bombé comme un pétoncle. Je m’observe, chaque inspiration est une faute, la claque au bord de partir. Si l’élastique pète, on connait la suite.

*

Je porte mon miroir en marge. Une voix se tient au centre, prétend parler pour toutes. Nous, une histoire de fruits coincée sous le vocable d’une fraise. Nous n’arrivons pourtant pas à nous toucher, à tendre les mains. La voix se liquéfie, rejoint la mer par mille réseaux souterrains, ne parle finalement pour personne. Nous avons juré de ne prêter flanc que dans la liberté la plus totale.

*

Je me tiens devant vous, dirige mon attention vers le sommet de votre tête, où s’agitent les arcs-en-ciel. Des chatons exsudent de vos poignets comme une toile d’araignée, vous décrivez un concept qui nous fait entrer tout droit dans la dystopie. Nous sommes assises dans un bureau. Le monde est un bureau. J’en suis moi-même à acheter une agrafeuse pour relier les pans de ma personne. Ces parties tentent de s’adresser à vous, m’empêchent de m’adresser à vous.

*

Il y a tant de questions que j’aimerais vous poser. Aimez-vous les fleurs ? Dans quelle direction criez-vous ? Qu’avez-vous pleuré récemment ? Vos mains prennent-elles parfois l’apparence de cordes amarrées ? Quels deuils portez-vous ? Qu’avez-vous d’abord remarqué en entrant dans cette pièce ? Je n’en saurai rien, moi qui rêvais d’une ronde. L’époque où nous étions enfants demeurera une expérience intraduisible défilant comme ces phares qui sillonnent la route, la nuit, sur la montagne, de l’autre côté du lac.

*

J’ignore pourquoi une certaine lourdeur du corps devient nécessaire pour écrire, un losange planté entre les deux omoplates, un roc dans l’estomac, la sensation d’aller nulle part. La première tempête de l’hiver a fondu avant même de toucher le sol tandis que je passais le temps, élaborant de nouvelles stratégies de fuite. Je compte les calories, magasine les maisons, les électroménagers. Faudra-t-il que je prolonge encore longtemps l’élan de devenir étrangère à moi-même avant d’en arriver à une version satisfaisante de mon âge?

Étudier ce que signifie être femme opère des brèches dans les meubles, dans la rue, mais je choisis de laisser la question entière. Au lieu de cela, je m’agenouille, je rêve qu’un homme me fait juter sur un divan neuf avant de m’achever dans la salle de lavage. Les livres non lus tremblent dans le living room. Une voix de robot annonce la fin du cycle.