L’écriture, expérience liquide, m’échappe quand je la retiens. Les mots-eaux dans lesquels je navigue sont de ciment, sentent le carburant, montent à la verticale, grimpent sur la surface des édifices, deviennent de la pierre. Du ciment et de la pierre, changeants, modelables, interprétables selon l’angle où on les regarde. Les mots-eaux infiltrent les édifices, entrent dans les pièces, couvrent les meubles, les transforment. Leur sens (ma signification toute à moi) est fait d’os et de muscles, toujours. Sans eux, je ne serais pas. Mots, os et muscles. Par l’écriture, je me connecte (déconnecte) autrement à (de) mon existence. Je crée une dimension linguistique, me distancie du présent en vivant un autre présent, mental. Une forme de méditation.
Je ne cherche pas de sens absolu. Juste une intention. La mienne. Mais aussi celle de Marie-Ève et Geneviève. Pour le.la lecteur.e, mon intention n’aura peut-être aucune importance. Je la façonne en expérimentant des procédés littéraires. Décrire ou pas les corps, les espaces. Le bon dosage dans la représentation. Je décide d’un angle de perception, plus ou moins ouvert. Je peux nommer les personnages. Ou bien ne pas les nommer. Mais je les nomme.
Marie-Ève et Geneviève. Première intention, Marie-Ève et Geneviève se rencontrent à la terrasse d’une micro-brasserie. Ou bien, Marie-Ève et Geneviève se rencontrent à la terrasse du Griendel, à Québec. Je n’ai pas dit qu’elles se sont donné rendez-vous. J’écris, « se rencontrent ».
Marie-Ève a déjà deux vies derrière elle. Elle attend l’occasion de fuir la troisième, et de recommencer encore une fois. Geneviève est une éternelle observatrice, se nourrit des autres, de leurs détails affectifs. Elle reste immobile, tout se déroule autour d’elle. Geneviève change dans son immobilité. Voilà deux intentions en moi, dans mon corps d’écrivain à l’instant où j’écris, « Marie-Ève et Geneviève se rencontrent ». C’est une possibilité.
M-E et G se rencontrent. M-E et G se rencontrent à la terrasse d’un bar.
Ou encore. Marie-Ève (cheveux rasés noirs, tatouage à l’arrière du crâne, deux bras en métal, démarche boiteuse) et Geneviève (cheveux très longs qui continuent à changer de couleur et à bouger autour de son visage comme si un vent les habitait ; on oublie toujours sa silhouette parce que le mouvement incessant de ses cheveux capte toute l’attention de l’entourage) se rencontrent à la terrasse du pub Griendel, à Québec.
Je réécris. J’expérimente d’autres possibilités. Leonardo Sciascia disait que la technique était sa passion, son idéologie, sa croyance. Chaque mot doit trouver sa place. Je tente d’être en cohérence avec moi-même. Je réécris, expérimente d’autres représentations de ce premier instant, la rencontre. Puis, quelquefois, je m’oublie un peu, ferme les yeux. Les doigts poursuivent le travail, les mots-eaux se défoulent, envahissent, me submergent. Les personnages trichent avec mon intention, le sens dérape un peu (ou beaucoup) vers des contrées improvisées desquelles je serai étonné à la prochaine relecture, vers un contact imprévu, des répliques accompagnées d’un verre qui tombe et se brise contre le sol. Parfois, ma main se trompe de lettre, créant un mot à la place de celui que j’avais pensé. Je relis, coupe un adjectif, un adverbe. On recommence. Marie-Ève et Geneviève se rencontrent à la terrasse du pub Griendel, à Québec.