Je pense à ces cauchemars – vague de quinze mètres, naufrage, chute du haut d’un immeuble – qui me font ressentir l’imminence de la mort de façon tellement réelle.
Je me plais à imaginer que nous sommes protégés ici, une alvéole dans la catastrophe, un intervalle entre deux temps de l’apocalypse. Il fait si beau, les végétaux pullulent au jardin. Les limaces bouffent les haricots et les laitues, font des trous dans les fraises. Nous les mangeons quand même, les taches rouges migrent de la terre à nos doigts, le jus circule.
Ailleurs, des villes entières sont en feu, inondées. Des coulées de boues emportent les gens. Des amandiers sont arrachés par dizaines de milliers pour lutter contre la sécheresse. Ici, nous explorons l’amour, nous nous aimons tant que la chair de nos aisselles s’affine. Les langues rejoignent les replis, nous nous protégeons du monde avec la peau.
Nous récoltons l’ail. Les racines remontent de loin, l’odeur franche et médicinale des bulbes fait éruption dans un magma de terre sombre. Ce sont nos réserves, une manière d’affirmer notre désir d’hivernage. Les prédateurs se tiennent loin, nous les avons chassés.
Nous découvrons une manière d’écarter ce qui appartient au déclin, les horizons menteurs, rance moitié de nous. Sans renier ce qui nous tisse, nous repoussons l’inquiétude, l’évidence d’un ravage.
*
Les réconciliations vraies ne sont possibles
que par l’abandon des vanités
une main s’avance
reconnaît la brûlure
ce lieu défiguré tombé aux griffes des cartels
il ne suffit pas de dire
ici se trouvait la forêt
pour que reviennent les bêtes
les histoires refont surface
à l’endos des cuirs
les photos de famille reprennent leur place
parmi les livres usés
vaisseaux d’exil
les émaux témoignent d’alliances encore vivaces