Où se trouve la joie ? Dans ma poitrine, dans mes jambes, dans mes yeux. La joie pulse. Je cherche à la répéter car elle est la seule chose que l’on désire vraiment répéter. Je répète pourtant passablement de choses. Des paroles, des gestes, des situations. Je rejoue. Je ne peux m’en empêcher. Jusqu’à l’écœurement. Alors il faut pleurer. Et dire. La scène originelle apparaît. Elle est souvent la même. Ses personnages et dialogues, son décor, constituent la base de ce qui revient et je suis surprise de les voir encore surgir. Il me semble chaque fois les résoudre, en percer le mystère. Je n’en saisis que des facettes. Lorsqu’elles reviennent, vives comme au premier jour, plus vives même.
Je ne sais jamais si je ne fais qu’ajouter des couches d’interprétation à la réalité ou si je me rappelle davantage ce qui s’est passé, si je me rappelle mieux. Mais le passé, je l’éclaire avec ce que je suis devenue, avec la somme des inférences. J’insère ma compréhension du passé comme une feuille d’acétate entre deux images d’une même séquence. La mémoire, comme l’œil, n’y voit plus l’insertion. Le souvenir et la réalité s’empilent jusqu’à former un film sans coupure.
Il se produit en moi des transformations profondes. Une façon de tourner mon regard vers la réalité qui englobe la joie d’être en vie. Je vis un ralentissement, mon sang devient plus grave. Je charrie avec mon nom l’odeur de la terre et des usines au loin. Je me dépose comme on s’assoit dans ses jupes. Tout n’a pas à être tragique. La tragédie vient de toute façon sans qu’on l’appelle. Le printemps arrive plus tôt certaines années.
Je continue d’écouter Artemyev. J’ai aimé la musique des films de Tarkovski presque autant que leurs images. La flûte de Stalker. L’eau qui ruisselle, reflète un paysage désolé, la verdure irradiée. Les salles en ruines, la peinture pelée. Le chien. La malédiction.
Je suis parfois superstitieuse. Le cinéma de Tarkovski me rend superstitieuse. Le cinéma de Tarkovski communique avec les esprits à travers mon corps.
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Une partie de mon inconfort vient du fait que je résiste à l’état de joie. Cette résistance prend la forme d’un éloignement, d’une difficulté à entrer en communication, d’une tension intérieure sans explication et qui m’empêche d’accomplir ce qui est susceptible de m’apaiser.
Je suis attachée à ma souffrance. Elle apporte une dimension tragique à mon existence somme toute banale. Elle me fait écrire. Je crains, en la laissant aller, de me mettre à écrire comme dans un livre de croissance personnelle. Je crains, en gommant les aspérités qui font de moi cette femme un peu dure qu’on peut craindre, de m’effacer, de me retrouver devant ma vie comme devant un objet lisse et sans intérêt.
Je me force donc à alimenter mes blessures, à les garder vivantes, toujours ouvertes, alors qu’une autre partie de moi lutte pour trouver un semblant de plénitude. Mes plaies me permettent de justifier mon existence – comment puis-je en arriver à écrire une chose pareille ? Sans elles, je n’ai pas de cri. Je ne me détache pas du fond morose de la banalité.
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nous protégions le jardin d’une tornade
immense cône noir
propulsé par des éclairs orangés
à un moment nous avons dû détaler
chercher refuge près des cabines
juste avant de me cacher
j’ai levé les yeux vers le ciel
c’était le jour mais
le ciel était d’un noir très clair
ponctué d’étoile
la tornade avait ricoché
était partie mourir plus loin
dans un autre village
l’air était frais
débarrassé de toute tension
les rainettes se sont remises à chanter
*