Encore une nuit à cheval entre le rêve et la lucidité. Je me réveille en proie à une soif violente, une soif terrible de mer. Un instant auparavant, j’étais convaincue que le boulevard Maisonneuve flambait. De longues flèches de lumière jaillissaient du sol et s’étendaient tout le long de l’artère, jusqu’au Quartier des spectacles. Le Stade Olympique lui-même s’était transformé en torche géante.
Ce n’est pas la première fois que je fais ce genre de rêves. Que je vois le monde en flammes. Parfois, c’est moi la princesse du feu, la dragonne. Parfois, je suis attachée au bûcher et je me laisse consumer. L’odeur de chair calcinée emplit encore mes narines au réveil et j’entends les enfants hurler : « Sorcière! Sorcière! » Parfois, l’eau remplace le feu dans mes cauchemars. Je rêve d’une vague immense, aussi haute que le soleil, qui éclipserait sa lumière avant de s’abattre sur la Terre. Ce n’est pas l’ombre de la vague qui me fait peur, mais l’absence de corps à serrer. Le silence avant l’impact. Je me réveille en sueur, regarde les chiffres rouges sur le cadran. Chaque fois, il est de peu passé quatre heures. Je ne me rendors pas.
Je perds doucement pied. Je le sens, mes rêves sont de plus en plus proches de la réalité. Je ne sais plus où ils s’arrêtent. L’autre jour, je me suis réveillée au parc, en plein après-midi, frigorifiée. Je suis rentrée chez moi pour me faire couler un bain. Je n’ai pas cessé de trembler de toute la nuit. Au petit matin, la fièvre s’était apaisée. J’étais de nouveau tiède et lucide, mais les questions continuaient de vrombir. Comment distinguer ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas? Est-ce que la parole est réelle? Est-ce que les émotions sont réelles? Je tourne en rond. J’observe ma main. J’écarte les doigts, parcours leur longueur, m’arrêtant sur chaque aspérité, les phalanges gibbeuses, le contour rose de l’ongle. Est-ce que cette main existe? Ou bien fait-elle partie de la fiction, du récit de ma vie que je me raconte? Un personnage que je nomme ma main droite? Je bouge les doigts un à un, de l’auriculaire jusqu’au pouce. Ils obéissent. Je soupire de soulagement, comme si je m’étais attendu à ce qu’une force invisible m’arrête. Quelle est la différence entre cette main, en apparence bien réelle, et la conscience qui la fait bouger? Existe-t-il une différence, ou bien est-ce la même chose? La main est-elle une extension du mouvement qui l’anime? Le corps est-il une extension de la parole?
J’erre à travers l’appartement en réfléchissant à haute voix. De temps à autres, je pousse une chaise, renverse un objet, pour m’assurer que le monde physique obéit encore à mes ordres.