Son mollet s’épanouit hors de la botte tel un gras bouquet plein de suc indigeste. Il répugne et défie les regards de son pourtour flasque et lipidique. Point d’exclamation dressé contre les lois de la nature et de la bienséance, il déborde, s’épanche en dehors de la botte ployant sous sa masse. Pourquoi ce mollet gigantesque n’a-t-il pas l’humilité de rester bien gentiment sous la sangle de sa botte ? Pourquoi se dresser ainsi hors d’elle pour narguer l’humanité et les regards ?
L’expansion de la cuisse, dont la circonférence met à l’épreuve l’élasticité d’une peau tendue à en éclater, n’est pas moins effrontée que ce mol-laid et tient à peine dans un ridicule pantalon ouaté, uniforme des gros. Mon regard remonte cette courbe vertigineuse, entraîné toujours plus haut par ces montagnes de chair. L’écœurement est amer dans ma gorge, mais je ne peux pas détourner le regard. Je voudrais dire à cette femme de cacher ses bourrelets ostentatoires, lui crier que l’arrogance du corps ne sied qu’aux demi-dieux, mais je demeure coite.
Sentant mon regard, elle se tourne brusquement vers moi et me sourit, ses amas de viandasse glissant hors de sa gigantesque chemise. Comment cette bête de boucherie ose-t-elle seulement croiser mon regard ? Elle me dévisage sans ciller et entreprend de copier un à un mes gestes en souriant bêtement. Je fulmine intérieurement, mais je lui rends la même expression stupide et réplique à son petit jeu d’intimidation. Plus elle redouble d’ardeur dans sa parade, plus l’envie de riposter m’envahit. Je caresse le canif qui repose dans la poche de ma veste, ce geste me procure puissance et exaltation. Cette pisseuse ne gagnera pas : entre nous deux, c’est moi qui suis la plus forte et la plus coriace.
Peu à peu, des quidams dont nous avons attiré l’attention s’attroupent. Cette sale virago à la périphérie crânienne triste dégoûte chaque paire d’yeux posée sur elle.
Ils murmurent tous, autour de nous, et comme une litanie morcelée j’entends en vrac les « Que se passe-t-il?/ Qui c’est ?/ Quelle horreur cette folle/ Est-ce qu’elle est dangereuse, maman ? » Et ça continue, et ça tourne, et ça tourne, et ça tourne. J’halète dans l’étourdissement du moment. Elle souffle de même, manifestement décontenancée par l’attroupement.
Elle se dirige soudainement vers les toilettes, peut-être pour cacher l’indignité de sa présence. Je la suis discrètement et j’entre dans son cabinet sans qu’elle ait le temps de se rendre compte de ma présence. Elle laisse échapper un petit son, entre le glapissement et le soupir, stupéfaite de ma présence. L’amoncellement de ses tissus nous enveloppe dans un écrin tiède et odorant. Je respire à peine, toute coincée contre la paroi. Essaie-t-elle de m’étouffer de son poids ?
Elle est trop près de moi, je n’arrive plus à distinguer mon être du sien et cette envahissante et inattendue proximité me trouble. Toute cette chair, tout ce gras… Un savoureux jambon, une immense pièce de viande luxuriante. Elle jute et dégouline de partout, elle semble prête à être dévorée. Un éclair lubrique me traverse brutalement. N’y résistant pas, j’essaie d’arracher sa chemise et j’ouvre son pantalon avec mon arme. Elle proteste faiblement, mais le poids de mon canif sur sa peau la réduit au silence.
J’écarte les tissus, une montagne de seins bondit à mon visage et je les lèche et les suce à pleine bouche. Mes bras enlacent chacun d’eux, comme on étreint les pis d’une vache pour faire monter le lait. Je plonge mes mains dans son entrejambe, cherchant le pouls battant de son sexe, mais je me perds dans les replis sans nombres de son bas-ventre. J’écarte, je tripote, j’écarquille chaque pli, sans parvenir au butin convoité. J’explore les stalactites bordant sa grotte, mais l’entrée demeure inaccessible. Cette chair qui entrave tous mes mouvements ! Elle gigote, glousse, se trémousse comme une jeune fille qui fait la coquette. Les commissures de ses lèvres menacent de se fendre tant elles s’étirent. Elle essaie de poser le pied sur le rebord de la cuvette, mais, entravée par son pantalon, elle chancelle et rebondit mollement sur le métal galvanisé. Elle ne s’arrête à aucune déchéance, s’efforçant de se relever, mais retombant de pleine gueule dans l’eau souillée par la dernière occupante de ces lieux. Ses efforts pitoyables éteignent mes désirs, qui me semblent à présent d’une sordidité extrême. Je considère de haut en bas la charogne dans tout ce qu’elle suppure d’immondices et telle une marée, rage et répulsion s’engloutissent à nouveau en moi.
Je pointe ma lame sur sa gorge. Défiance ultime, son sourire complaisant me provoque et aggrave ma hargne. Sale bête de foire, anormale, hideuse, inutile ! Je guide lentement la pointe de mon couteau jusqu’au premier renflement de son abdomen. Elle ne m’aura pas, elle ne réussira pas à m’humilier. Elle ne me réduira pas à des appétits dont je n’ai jamais eu la convoitise ! Ma main entame un mouvement de va-et-vient avec l’arme. Elle doit payer, elle doit être détruite ! N’en pouvant plus, j’entreprends de la taillader tout doucement en lui murmurant bien bas, à l’oreille : « C’est ton jour de chance, voici une chirurgie plastique gratuite. Tout ira bien maintenant. »
Je m’évanouis avant d’avoir atteint le carrelage.
De faibles voix se font entendre, comme un écho sans fin dans ma tête. Tout près de moi, le doux babil de l’eau ruisselant hors de son cours me berce et m’apaise.
L’odeur du sang m’éveille à nouveau. Je me sens engourdie et déroutée. Je baisse le regard ; je baigne dans une mare vermeille et autour de moi sont éparpillés des morceaux de chair. Mes vêtements sont déchirés, épars dans ce cabinet que j’englobe de ma masse… Je peine à comprendre ce qui m’arrive. Est-ce qu’on m’a agressée ? Je… bien sûr. Les gros ne devraient être épargnés d’aucune torture. Honte de l’humanité, restreignons-les dans des ghettos, loin du regard de la mince élite. Il n’y a qu’une sorte de beauté possible. L’obésité persistera à nourrir le dégoût, quoi que l’on veuille prétendre à son sujet. Jamais on ne pourra m’enlever assez de chair : je demeurerai toujours affreusement obèse et déformée. Resserrant ma main sur mon canif, je l’approche lourdement à mon cœur et l’y presse jusqu’à ce que cesse la douleur. Enfin.
*
« J’ai besoin d’une ambulance au centre commercial Leclerc. Toilettes des femmes du premier étage. La victime est une jeune femme de race caucasienne. Au pif, je dirais qu’elle mesure 5’2 et qu’elle pèse 90 livres tout au plus. Elle a subi d’importantes mutilations à l’abdomen et a été poignardée une fois au cœur. Les blessures semblent auto-infligées. Elle n’a aucune pièce d’identité sur elle. » Le gardien de sécurité coupe la communication et se tourne vers une vieille dame toute blême, au bord de l’évanouissement : « Merci de nous avoir avertis madame. Venez au poste de sécurité avec moi, le temps de vous remettre de vos émotions. Aimeriez-vous ça une bonne tasse de thé chaud ? »
L’ambulance vint réclamer le jeune corps torturé.