J’ai trop mangé pour souper. Mon corps est traversé par des vagues de chaleur digestive; une fournaise qu’on aurait gavée de combustibles.
Résister à la tentation d’aller jogger jusqu’au fleuve n’est pas facile. Rester assise, une torture. C’est ce que la psy m’a demandé, pour éviter de continuer de perdre du poids. Rester assise après avoir mangé. Ses consignes ne font aucun sens, même si je sais que je dois les suivre.
Je reste donc vautrée sur mon lit, le ventre lourd. J’aimerais pouvoir ranger ma chambre, mais elle est déjà propre. Ma grand-mère qui séjourne chez nous pour la fin de semaine m’appelle Mme Blancheville. Elle croit que je suis accro au ménage, alors qu’en fait, nettoyer m’aide à faire passer le temps.
Tiens, je pourrais vider mon sac à dos pour y mettre de l’ordre. Je le secoue, une feuille en tombe : ma liste de rêves, dont j’avais oublié jusqu’à l’existence. Je la relis.
#1 Repeindre et redécorer ma chambre
#2 Écrire ou téléphoner à G.
#3 Terminer d’écrire mon livre
#4 Pouvoir dire les choses avec sincérité
Le mot « Écrire » revient deux fois. Il me semble que je pourrais faire d’une pierre deux coups. J’extirpe d’une étagère mon carnet violet. Je mets des mots sur la distance qui nous sépare, G. et moi. Ça finit par ressembler à un poème sirupeux. Je m’en rends compte bien vite : écrire fait mal. Écrire est humiliant. Ingrat. Fastidieux. Décourageant.
Je m’évade dans des dessins au tracé simple et réconfortant; sirènes, méduses, poissons…Je pique du nez entre les pages.
19h30. Ma grand-mère s’invite dans ma chambre.
– Tu te couches tôt, Mme Blancheville?
– J’ai rien d’autre à faire.
Elle s’empare de ma feuille de rêves, échouée au pied du lit.
– Tu pourrais téléphoner à G.?