La Toyota familiale verte roule sur Avenue du Parc. Mon père conduit. Il baisse la visière, le coucher de soleil de début mai est magnifique et aveuglant.
Quand j’étais enfant, nous n’allions pas souvent à Montréal, sauf pour visiter ma marraine sur le Plateau, faire les courses au Marché Jean-Talon, ou acheter des bagels. Quand je vois mon père tourner ce soir sur St-Viateur, je sais exactement où il veut arrêter.
Nous revenons de mon premier rendez-vous chez la psy. Elle a dit que j’allais m’en sortir. Je n’en sais trop rien. Je reste vague, ne parle pas trop de mon expérience à mon père qui me pose des questions. De peur de perdre l’envie d’y retourner la semaine prochaine. Tout ce que je sais est que mon père fait exprès de m’emmener chez St-Viateur, pour me montrer, que oui ma fille, t’es capable.
La vitrine est embuée. La porte n’est pas encore ouverte que déjà me vient au nez l’arôme de cuisson, qui me fait saliver. Je me mords l’intérieur des joues. Le commerce, chaud, odorant et lumineux, avec ses boulangers alimentant sans relâche un grand four royal, m’a toujours fait l’effet d’une ruche. D’ailleurs mon père me dit que les anneaux de pâte sont plongés dans une eau mielleuse avant de se faire enfourner, ce qui leur confère leur goût sucré et rend leur croûte encore plus croustillante.
Je suis moi-même sur le point de craquer.
Je me choisis un Seven Up diète dans le mini frigo à l’entrée.
Pendant ce temps, mon père adresse une commande au caissier : 5 pavots, 5 sésames, 1 multigrain (lui), 1 nature (ma mère).
Douze bagels. Douze pains à 220 calories. 1 heure de marche.
C’est beaucoup, je lui dis.
Ça a l’air beaucoup, mais c’est pas tant, il répond. Des bagels, ça se mange vite.
J’essaie de me convaincre que l’aspartame a bien meilleur goût.