C’est dans une église que je l’ai rencontrée la première fois. Une église baptiste. Celle construite par son père à Uashat quelques années plus tôt. Il était pasteur et était venu s’installer en banlieue de la réserve, juste avant l’intersection qui mène à Maliotenam. Il avait choisi d’œuvrer chez les Innus. Après une quinzaine d’années, après avoir élevé sa famille et établi dans la réserve la première église non catholique, il a rebroussé chemin. Son œuvre l’amenait ailleurs, dans son village natal, loin, très loin de chez moi.
Nous étions petites filles et toutes deux, nous étions réservées. Elle par son incapacité à aligner deux phrases sans rougir. Moi, par le lieu. Cette réserve qui m’a vu naître et qui m’enracinait. Immuable, intransigeante. Et parce que nous partagions cet état, naturellement nous sommes devenues amies. Elle avait l’écoute facile. Le jugement absent. J’avais la parole continue. Nos rêves de gamines en commun. Elle n’avait jamais peur dans la forêt, même en pleine nuit. J’avais la certitude qu’elle me protégerait des ours parce qu’elle était la fille du pasteur et que ses prières seraient exaucées, contrairement aux miennes, moi fille de personne. Lorsqu’elle est partie, on s’est promis de s’envoyer des lettres. Mais on ne s’est jamais écrit. On avait peu à se dire, tout compte fait.
Des années plus tard, après ses études, j’ai appris qu’elle reviendrait à Uashat en tant que missionnaire. Seule cette fois-ci. Dans une vieille Toyota achetée bon marché. Refaire cette route qui traverse le pays. Les rocheuses, les plaines, des villes, pour se rendre tranquillement vers la 138. Le fleuve qui s’étire à sa droite. Les montagnes et les lacs à sa gauche. Les courbes moins abruptes. Une route adoucie grâce aux millions du gouvernement et pour cause, les accidents fréquents, tant en été qu’en hiver. Elle aurait sans doute ce sentiment réconfortant, qui évoque l’enfance, celui de retourner à la maison.
C’est aujourd’hui que je décide de lui écrire. Ces mille mots que j’ai entassés depuis que je vis moi aussi, loin, si loin de chez moi. Maintenant devenues adultes, cette envie de partager avec elle ce qui me manque de ma communauté. Ce qui m’a traversé, ce que j’ai laissé, ce qui m’a fait grandir, ce que j’aime. Sans conseils et sans reproches. Parce que je crois qu’avant d’aider qui que ce soit, avant de tenter de transformer des peines incomprises en joies, des drames pas racontés en allégresses, avant de leur parler du Dieu qui sauve, il faut bien commencer par les connaître. Et leurs histoires, leurs identités, leurs idéaux, ce à quoi ils rêvent la nuit. Le quotidien de ces gens vers qui elle a choisi d’aller.
J’ajouterais que j’ai du respect pour ceux, celles, qui s’aventurent sur les routes éloignées afin de travailler pour nos communautés. Comme Julie, j’admire leur courage et leur empathie. Je sais que l’intention est bonne. Mais je sais aussi que ce n’est pas suffisant.