Liens à délier
je te tends la main
coupe-la-moi
vite, d’un coup, sans hésiter
je suis hautement coupable
de déraison
ne me laisse pas dormir
même mes rêves sont détestables
je ne mérite pas le sommeil des justes
arrache-moi les yeux
pour détruire cette vision
dont tu ne voudrais pas en héritage
[heading style= »subheader »]Les autres[/heading]
les maganés
les mêlés
les fuckés
les mélancoliques
les méchants moineaux
les spéciaux
les cas désespérés
les cassés
les trop tendres
les trop faibles
les esseulés
les poqués
du haut de leur triste allégresse
sont les prémisses de la beauté palpitante
de ce monde des pas perdus
et toi ma fille, tenteras-tu
de te placer dans le courant dominant
ou te joindras-tu
à nous dans la marge, à nous, les perdants magnifiques?
[heading style= »subheader »]La corde[/heading]
une brise fait se balancer nos vêtements
sur la corde qui suspend entre terre et ciel
une frise aux couleurs et formes bariolées
nos pantalons sont presque à la même distance du sol
assise à boire mon café, j’essaie de deviner
si cette camisole trop blanche, qui reflète des éclats de soleil
et m’oblige à plisser les yeux, est tienne ou mienne
cette énigme m’occupe l’esprit
et m’évite de penser que bientôt
il n’y aura que mes guenilles sur cette corde râpeuse
[heading style= »subheader »]Des craques[/heading]
toujours soif, toujours en quête
toujours vide, mais toujours lourde
les yeux aux aguets
dans l’espoir qu’au détour, il y aura un attrait
dans l’attente, le cou tendu, du prochain émoi
les intervalles ne sont que descentes sans fin en soi
les mains jointes pour recueillir
mais comme le sable, tout glisse, tout se dérobe
et le cœur, si avide, requiert plus que ce qui lui est dû
cependant jamais il ne se comble
c’est un panier percé, une poche trouée
un tissu si souvent rapiécé avec des fils lâches
il n’y a que le vent qui s’y engouffre pour y rester
tirer sur les fils ne rime à rien
et j’espère ma fille
que je ne t’ai pas légué un cœur craquelé
[heading style= »subheader »]Crache le morceau [/heading]
courage ma fille
allons-y, enfonçons-nous le poing dans la gorge
plus de cris, plus de mots durs, plus de nœuds
et poussons encore plus loin, plus au fond
nos cœurs vont se soulever, protester sans un son
encore plus avant, force
ils vont vouloir sortir de notre poitrine
c’est douloureux, tiens le coup, ce sera le dernier tremblement
vite, saisis-le tandis qu’il se lève
referme tes doigts dessus
tire, tire, ne lâche pas
il se débat, empoigne-le fermement
remonte-le, dépose-le sur ta langue
mords-le à belles dents
pour toutes ces fois où il t’a fait défaillir sans prévenir
à go, crachons ces barbottes sanguinolentes
le plus loin possible dans cette rivière de misère
ils se déposeront tout au fond, côte à côte
[heading style= »subheader »]Au bout du cordage[/heading]
ma fille
je te propose
de couper tous les fils
qui pendent sur les robes trop grandes
que nous ont légué nos aïeules
on va dénouer les cordes
puis les laisser là
bêtement sur le plancher
dans la poussière et les restes du souper
ou tu peux les prendre
les rabouter comme bon te semble
bien sûr
jusqu’à moi ça me ferait plaisir
un fil d’Ariane, un filet de sécurité
même si j’ai pas de patron pas de canevas
à te donner
toute façon t’en voudrais pas
quand les temps sont durs
quand tu sais plus quand t’es perdue
désorientées à deux, à quatre mains
on pourrait peut-être se dépêtrer
au fil du temps
[heading style= »subheader »]Cœur d’occasion[/heading]
et bien voilà demain j’irai lancer mon cœur
comme un galet sur l’eau de la rivière noire
il ne fera pas trois bonds, il est trop lourd
ce ne sera pas une perte, il a déjà sombré
il ne se putréfiera pas, il n’est déjà que pourriture
il n’y a rien à tirer d’une telle chose
sinon qu’un peu de honte et de déception
soit il souffre, soit il fait souffrir
soit il se cache à lui-même la grisaille des autres
au matin, il veut faire sortir l’enfant du lit par le rire
à la brunante, il veut embrasser celui qui a l’anneau au doigt
une mère ne peut avoir un cœur de misère
dont on ne sait si la plus grande part
est loup ou agneau
alors voilà peut-être un autre jour
en trouverai-je un d’occasion
qui n’a pas sa part de trahisons