amène-toi que j’te craque la bouche que j’te fende comme un cul sous la blancheur de l’émail
gros fourreau de sel
tu m’as murée comme une chienne t’as lavé la parole de ma gueule infidèle je suis sale à jamais sale et seule tu sais bien les automnes de partout sous les bras sous les ongles roulent et s’engouffrent on est tous un peu glacés figés des tripes avant l’hiver
plus de sol à geler que le vent qui souffre
et saigne
René-Lévesque ses érables couleur d’escarre
la mort à chaque fois que j’descends d’un bus
*
*
j’ai roulé sous toi tu m’as portée entre tes mains d’ailleurs avec toi j’oubliais ce corps et son poids cellules mornes la ville s’infiltrait sous ma peau je devenais Québec avec une autre langue une autre chatte je voyais Québec à travers mes cris de femme je n’avais encore jamais joui Québec je l’avais seulement sucée du bout des lèvres je n’osais pas je m’y glissais
maintenant c’était autre chose
j’avais ouvert une brèche valve nouvelle humide il me semblait que mes pelages s’ébattaient en silence déroulaient leurs renards jusqu’à Saint-Roch mon accent même flirtait avec le vent mauve et ces flocons qu’il n’avait jamais vus je prenais peu à peu la lenteur du vieux port la teinte des rues en pierres je prenais Québec comme on reprend le nom d’une femme comme on la perd une deuxième fois
dix ans auparavant j’étais trop jeune l’amour avait flambé
aujourd’hui je comprenais son nom ses veines
et le goût perlé de son entaille
*
tu m’as déconstruite avec la lenteur du bois vert quand il craque et qu’il fume en crachant
il aurait pas fallu planter des veines aux quatre coins du silence
trop risqué n’importe qui un gros dard à la main
et ça taille franc dans la nuit avec le noir qui me tombe
à gros poings de boucane
il aurait pas fallu rien de plus
le gel profite toujours de l’absence tu partais je restais la ville rompait ses terres en deux
nos jeux d’eau douce sous le ciel cristallin
maintenant l’odeur brune
le fungus
on ne s’arrête plus ça cavale ton peuple en courant les couloirs de mon corps
ouvre des portes et des draps
ouvre des cuisses en espérant la nuit peut-être
son retour à la guerre à nos feux
il y avait pourtant des fleuves entiers à border sous mes bras
la semi-obscurité de mon ventre comme un pain de blé noir
ton territoire s’est ramassé dans cette feuille qui s’altère
ton territoire craqué
émietté
j’ai les pieds qui fissurent
Crédit photo : Pierre Barrellon