Un petit globe argenté se déplace et les planètes
Tournent sur une piste électronique
Autour du soleil de l’atome.
Mais pour nous
Toujours un seul point sur la terre…
« Le tombeau de la mère », Czeslaw MILOSZ
Cmentarz Komunalny. Le cimetière de la rue Rudska.
Je t’avais accompagné au pied d’une croix.
Là était ton enfance, les prés de Chochołów quand ils bruissaient de vie fauve sous juillet qui écrasait tout – quand tu sentais la chaleur du grand monde dans les ailes des coccinelles.
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La rue Rudska.
Une file languide et noire s’était étiolée en sortant, méthodiquement. Il faisait froid. Le brouillard était monté de la rivière Nacyna dans la nuit. Les rues, lourdes de son haleine humide, se réveillaient pour mieux s’engourdir – léthargie crayeuse, à peine troublée par les bruits sourds des moteurs, et quelques pas. Le jour froid et vitreux s’enfonçait dès midi vers le soir.
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La rue Wodzisławska
Nous sommes allés à l’église Józefa Robotnika – l’église Saint-Joseph Travailleur, toute blanche, aux vitraux en rectangles et aux plafonds à caissons. Le froid musardait dans le parc, entre les buis : tu as serré sur ton cou les pans de ton manteau. L’air brûlait mes joues. Deux ou trois fois ton soulier a heurté les pavés et j’ai senti ton cœur qui tressautait.
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4410 de la rue Józefa Rymera.
Ensemble, nous avons vivement monté les marches : le vent tousseux sifflait comme un poitrinaire dans l’escalier.
— Kawa?
— Kawa.
Tu as réchauffé du café, j’ai essuyé les verres retournés dans l’évier.
— Mleko?
— Du lait?
— Dziękuję.
— Merci.
Puis tu t’es endormi, la tête dans les bras, en souliers, et les genoux serrés.
Au réveil nous n’avons pas mangé. Marek est passé et nous avons refait du café. Puis il est reparti.
Tu m’as dit :
— Przyjdź.
— Viens, viens voir.
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Sypialnia. La chambre de ta mère
Nous vivons chancelants, tandis que précipitamment
Comme des mouches dans la lumière de lampes perpétuelles
Un électron en croise un autre dans le vide.
La chambre de ta mère était slave, avec des rideaux en cascade, des rubans et des poupées – des lalki. Nous les avons regardées, avons caressé leurs cheveux si déraisonnablement longs, les saillances des coutures, les béances.
Certaines étaient parées pour une obscure cérémonie : elles tendaient des bras graciles, des mains ouvertes. Sous des jupons bouffants de bergères aux joues trop roses, je voyais les vergers d’une Voïvodie féconde et millénaire ; dans le drapé des soies orientales, tous les enfants cachés des princesses de Kinský et de Poniatowski.
D’autres attendaient qu’on voulût bien les apprêter : elles gisaient, dérisoires et désarticulées, tangibles comme les filles de Stare Miasto nues sur les taffetas. Tout l’Orient et l’Occident, boudoir et harem – la vie révélée, docile, indécente.
Elles souriaient, et toi aussi tu souriais – mais douloureusement.
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Le tombeau de ta mère
Des boucliers longs et massifs
Renvoient aux nuages des signes effacés
Tout près du lieu où s’unissent
La terre et les restes de celle qui m’a mis au monde.
La solitude éternelle, le cri des oiseaux migrateurs,
Et le souffle de la mer, sourd et incessant.
C’est moi qui ai fermé les persiennes.
Je crois avoir vu, dans les collines de tes épaules nues, sur tes flancs ombreux et doux, la croix de la rue Rudska. Je crois l’avoir vue dans la rivière de tes cheveux.
Je crois que je t’ai bercé, comme une mère de Silésie.
Quand le brouillard s’est levé, la pluie est tombée, drue, vivante.