et toi quelle part
de toi-même as-tu
dévastée
MICHEL BEAULIEU
1.
si empressée que tu sois dans les créneaux de la ville
si empressée que tu parais invisible
tu désertes encore les lieux de ton enfance
et cherches à en connaître d’autres
de plus tendres où tu serais moins frêle
où ta parole serait celle d’un monarque dans les grands villages de l’aube
une parole tressée par l’infatigable faim de vivre
tu cherches à habiter les lieux éloignés de ton corps
à te séparer de l’autre qui cherche à naître en toi
tu interroges ces morsures que le froid t’a laissées
ces chemins qui sillonnent tes yeux
tu refermes tes mains sur ton ombre
te demandes comment les jours s’effritent si vite
derrière les souvenirs tu as peur
le temps avance hors de toi en toi
si jeune
tu dis vouloir redessiner les lignes de tes mains
en rallonger certaines et en effacer d’autres
retrouver le fil de ta vie pour te tricoter de nouvelles origines
2.
tu ne vas nulle part
deviens une image
sans le savoir la nuit quand tu dors
tu te couches au fond de toi
tu voudrais revenir dans ces lieux où l’aurore méditait des mots
tu ne peux pas te dépouiller de toi-même
tu dis j’aime sans savoir où ces mots te conduisent
tu ne cherches qu’à recréer cette partie de toi
qui te brûle de son absence
tu te questionnes
aucune réponse ne comble les gouffres de tes angoisses
tu te condamnes
quelque part entre l’effritement des sens et la douleur
3.
pourquoi cherches-tu à couvrir tes plaies
sinon pour éviter la souffrance même
qui t’est instillée goutte à goutte depuis quelques mois
des souvenirs te traquent
trop de choses cassées en toi
miroitent au fond de tes yeux
les racines de ton âme frémissent dans la terre pourrie
tu t’enfonceras bientôt dans le silence
tu parles de fuir
les dérives imprègnent ton regard
4.
tu aimerais séjourner au plus nu de toi-même
mais tu succombes
te laisses emporter par le flot de tes misères trop longtemps retenues
tu supplies la parole de ne pas t’abandonner
ta vie est un champ de bataille dis-tu
mais comment veux-tu la transformer en champ fertile
si tu désertes sans cesse
la guerre n’est jamais finie
tu attends que la lumière revienne pas à pas
avec sa parole comme artisane de la chaleur
5.
tu te demandes comment renouer avec toi-même
tandis que la nuit s’émiette dans l’air frais de la ville
ensommeillée
tu voudrais parler à quelqu’un
mais tu n’as plus rien à dire
encore des minutes des heures
des jours
sans que tu puisses quoi que ce soit
la grisaille embrouille ton corps
et ses mouvements lents cherchent à transcender ton âme
tu longes les rues
la nuit écaillée ne te promet plus rien
tu ne renoueras pas avec toi-même
pas maintenant
tu chasses l’aube de tes mains
abandonnes et
remets tout au lendemain