C’est juste un malentendu, chui une femme ordinaire pis j –
J’pourrais-tu voir mon mari? Michel?
Lucie Babylas. Soixante-deux ans. Mariée. À Michel Babylas. Depuis vingt-sept ans. En fait, on fête not’ anniversaire de mariage demain. On s’est mariés en même temps que ma sœur pis le frère de Michel. Tsé, talk about meant to be : on s’est tellement aimés que nos frères et sœurs ont voulu nous copier. Après, eux y’ont déménagé, pis moi pis Michel, on est restés à Sainte-Anne-de-Beaupré. Dans ce temps-là, Michel était un vendeur d’aspirateurs qui faisait du porte-à-porte. Mais déjà, y me parlait de toute l’argent qu’on allait faire pis de la maison de big shot qu’on allait se payer pis des pays qu’on allait visiter pis all the kit, tsé. On était pas nés pour un p’tit pain, même si on restait dans un village de… de BS, on va s’le dire.
Je tourne pas autour du pot, je sais même pas pourquoi vous m’avez emmené icitte.
Quand est-ce que je vais voir Michel, monsieur l’agent?
Ma famille? J’ai juste Michel… Mon fils? Ah oui, j’ai eu un fils. Mais un tout petit fils, ça compte même pas. Y’était sage, par exemple. So sweet. Pis beau. Pis tellement intelligent. Pis doux, doux, on aurait dit de la soie de chez Fabricville. Mais ça fait longtemps que… que je l’ai pas vu. À quinze ans, y’est parti pour Montréal avec une de ses amies de fille en promettant de devenir riche pour faire plaisir à mon Michel. Je l’ai pas revu depuis. Ça fait si longtemps qu’y est parti…
Je peux avoir un verre d’eau?
J’pense que… j’pense que je comprends pourquoi vous m’avez faite venir? S’tu à cause de l’histoire de Gaétan Dumouchel, en 2008? Me semble que j’avais déjà tout expliqué aux agents de la SQ : oui, Gaétan était mon amant, oui, j’ai trompé Michel avec une ou deux fois, oui Michel m’a pognée, mais mon Michel, c’t’un… c’t’un doux lui avec. So so sweet. Y m’a pardonnée pis toute. Y’aurait pas tué un p’tit comptable à coups de marteaux, franchement. Les gens peuvent dire n’importe quoi quand y’aiment pas que’qu’un. Pis les BS de Sainte-Anne, y nous aimaient pas. C’est pour ça qu’y ont parti la rumeur contre mon Michel. Y’étaient jaloux, c’est toute! C’est pas de not’ faute à nous autres si on avait la plus grosse télé pis la plus grande piscine pis la toiture la plus droite pis le botox le moins plastique pis la greffe de cheveux avec du poil de cul la moins fake, tsé. On a toute acheté à crédit, mais quand même! Avec du monde jaloux de même, on a pas eu le choix de déménager. C’était une question de survie.
A… ah, c’est pas pour ça que chu là? Quel voyageur?
Je pense que vous devriez plus en parler avec Michel.
Oui, c’est mon auberge. Le Marteau doré. Coin Sainte-Geneviève pis des Grison, juste derrière le Château Frontenac. Une auberge quatre étoiles, thank you very much. Mais pourquoi vous me montrez ça? Vous voulez une chambre? Ha ha ha! Ha… Ha…
Michel pis moi, on… on l’a acheté y’a cinq ans, en arrivant de Sainte-Anne. Dans c’temps-là, c’était pas ben ben populaire. Nous, on en a fait une beauté. Top notch. Avec des tapis en minou pis des écrans partout pis des lumières LED dans des aquariums derniers cris pis des caméras dans chaque chambre. Pour… pour la sécurité, tsé. Au début, ça allait ben. Écoutez, on avait des listes d’attente longue de même, on recevait des stars tellement in, comme Michel Louvain pis Renée Martel, on nous donnait même des petites enveloppes pour libérer des chambres… Euh… Euh, oui, des petites enveloppes pour… pour la poste, parce que tsé, on en manquait tout le temps pis une… une chance que le monde nous en donnait… Ha ha ha… Mais là, y’a encore du monde qui nous aimait pas qui se sont mis à dire n’importe quoi pour nous faire chier. Tsé, du monde qui disait qu’on volait des sous aux clients dans le coffre-fort de l’auberge, ou qui supposait qu’on mettait leur vidéo de sécurité sur les Internets. Voir que c’est de ma faute si y’a une vidéo de Michel Louvain en bobettes sur Youtube… Anyway, on s’est mis à avoir de moins en moins de clients. Pis en plus on s’est fait voler un soir en août. Michel a trouvé ça bizarre, surtout que le coffre-fort est dans notre chambre, mais bon. Y’a fallu qu’on baisse nos tarifs, qu’on vende notre BMW pour louer une Toyota pis même qu’on… qu’on achète des marques génériques à l’épicerie… s’cusez-moi… Vous auriez pas un kleenex?
Vous voyez? C’est pas moi que vous devriez arrêter, c’est les menteurs pis les voleurs qui nous ont ruiné, moi pis mon Michel!
Vous êtes sûr que vous avez pas de kleenex? Michel, y’en a lui. J’peux aller le voir?
Le 2 novembre? Je… Je travaillais à l’auberge, that’s it. Qu’est-ce qu’y a de spécial, le 2 novembre? Pour moi, vous devriez en parler à Michel. Michel? Michel?!
Je peux avoir de l’eau? J’ai soif, je vous dis. Arrêtez de me traiter comme une innocente, je vais… je vais appeler mon avocat! J’ai rien fait.
C’est quoi ces photos-là? Non, je sais pas c’est qui. Des jeunes de vingt-cinq ans, y’en a beaucoup, tsé. Ah oui, y’est venu à notre auberge. Je m’en souviens pu quand, vers 21 h? Euh, oui, le 2 novembre, mais c’est une coïncidence. A lucky strike, tsé. Je sais pu, y’est arrivé avec des lunettes fumées, une valise pis une mallette. Y’a pas parlé beaucoup. Y me regardait pas. Y’a pas voulu remplir le registre, y’avait pas ses papiers d’identité. Y les avait oubliés chez une amie. Je lui ai dit que c’était obligatoire, mais y m’a donné un cent piasse pis… pis j’ai fermé ma yeule. Y m’a donné sa mallette pour que je la mette dans le coffre-fort de l’auberge pis y’est allé se coucher. J’en sais pas plus.
À quelle heure y’est parti le lendemain? Vers… vers 7 h, me semble. J’étais pas levée, c’est Michel qui s’en est occupé. Parlez-lui, je vous dis, c’est lui qui sait toute. Michel!
Je vous ai dit que je le connais pas, le jeune! Enlevez-moi les photos de la face, y m’a pas donné son nom, bon. Un no name, ça se peut. Y’est parti vers 10 h, je vous ai dit. J’étais pas levée. J’ai rien fait de mal, moi. Sa mallette? Y’est parti avec. Vers 9 h! 9 h! Je sais pas! J’ai rien fait, je l’jure! Pourquoi vous me croyez pas? Michel! Aide-moi Michel!
(Elle pleure. Un temps.)
Oui, je suis prête à parler. Demandez-moi tout ce que vous voulez, mais serrez vos photos. Serrez-les. Serrez vos photos.
Quand le gars aux lunettes fumées m’a laissé sa mallette, j’ai voulu regarder ce qu’y avait dedans, comme je fais avec tout ce que je mets dans le coffre-fort. Mais elle était barrée à clé. J’ai callé Michel pour qu’y prenne la réception. On a un code : quand Michel s’occupe de la réception, ça veut dire qu’on a un objet rare dans le coffre-fort. Chu montée dans la chambre de… du gars. La seule chambre occupée, anyway. Y dormait. Y’avait l’air tout sage pis toute beau pis… j’y ai volé la clé dans ses jeans laissés par terre. Michel pis moi, on a ouvert la mallette pis on en revenait pas. Dedans, y’avait des centaines pis des centaines de billets de cent. Michel a barré l’entrée pis on s’est mis à compter. Y’avait deux cents milles piasses. Y’avait aussi d’autre bébelles, comme un billet d’autocar pour Sainte-Anne-de-Beaupré pis des papiers de compagnies.
Pis là, ça s’est comme enchaîné, you know? J’ai suggéré qu’on garde le cash pis Michel m’a dit que c’était une bonne idée pis j’ai dit : « Ça a pas de bon sens, voyons, y faut remettre l’argent dans la malle » pis Michel a souhaité que le gars se réveille jamais pis y’a continué en disant que l’argent c’est un bien commun, qu’on s’est fait volés faque on pouvait voler aussi parce que c’est fair pis y’a répété qu’on devrait garder l’argent pis y’a parlé de prolonger le sommeil du gars pis je suis allée voir si y dormait encore pis y dormait encore pis Michel a pris un marteau pis moi une lampe de poche pis j’ai crié : « Arrête! Arrête, on peut pas faire ça. Pense au sang que ça va faire. Pense à… pense à sa famille, à sa mère qui l’attend à que’que part. On peut pas faire ça. » Faque Michel a remis l’argent dans la malle pis on est allés se coucher.
Mais on dormait pas. On attendait. Je savais. Pis Michel savait. Ça finirait pas là. Faque quand Michel s’est levé, j’ai fait semblant de dormir. Même si y savait que je dormais pas. Pis que je savais qu’y se levait. J’ai entendu ses pas pis la porte de la chambre du gars pis… pis juste un petit ploc. Comme quand on pitche une roche dans l’eau. Après, y’a eu le bruit d’une poche de patates qu’on traîne dans les escaliers, le bruit d’un char qui démarre, pis le bruit de deux cents milles piasses enfin à nous. Je me suis levée vers 10 h pis j’ai dit à Michel, qui était encore debout : « Le gars est déjà parti? C’est bizarre. » Y’a dit : « Je sais pas si y’a oublié sa mallette par exemple. » Y’avait oublié sa mallette. J’ai dit : « Penses-tu qu’y va revenir la chercher, Michel? » Pis y’a répondu : « Non, reste tranquille. » Pis chu restée tranquille.
Deux… Deux heures plus tard, y’a une p’tite blonde qui débarque à l’auberge. Quand a’ me voit, a’ devient toute heureuse pis a’ me fait la bise pis a’ me dit qu’a’ savait pas qu’on était rendus icitte pis a’ me dit que je dois être ben contente d’abord. « Contente de quoi? » que je lui demande. Je l’avais pas reconnue à ce moment-là. A’ me dit : « Ben, d’avoir vu votre fils… Y vient d’arriver de Paris pis y s’en allait vous porter de quoi à Sainte-Anne. Y devait être content de tomber sur vous autres. » Là, je catche ‘est qui : c’est la chum de fille avec qui mon… mon bébé était parti, y’a dix ans. Moi, je dis que ça se peut pas, que c’était pas lui, que ça devait être une autre, qu’a’ s’est trompée, y’est pas venu, je jure qu’y est pas venu. Pis c’est là que la blonde me donne les cartes d’identité que mon fils avait oubliées chez eux la veille…
Comment ça se fait que je l’ai pas reconnu. Mon bébé… Pourquoi je l’ai pas reconnu…
J’ai rien fait, je le jure.
Laissez-moi sortir. Pis cachez les photos.
Je veux pas voir Michel.
Pourquoi je l’ai pas reconnu…