Ce texte a été écrit dans le cadre de Huis clos à ciel ouvert tenu au Musée national des beaux-arts du Québec le 4 avril 2014, pendant la Nuit de la création, et ce, sous les contraintes imposées lors de la troisième période d’écriture de ce projet à laquelle se sont livrés trois duos d’artistes.
À la terrasse Dufferin, un amuseur public attire une foule énorme.
JO-NATHAN : Heille! yo, c’est plate le show, man. J’ferais cent fois mieux.
FRANCINE : Arrête de tout le temps vouloir te montrer meilleur. L’humilité, c’est important. C’est ça qu’on apprend à l’université!
JO-NATHAN (singeant sa sœur) : L’humidité, c’est important. (reprenant sa voix) Ben ouais, c’t’important avec ton dude, hein.
FRANCINE : Laisse Christian-Emmanuel hors de ça! Regarde l’amuseur, là. Il se met du feu dans la bouche. Vas-y si t’es si bon que ça, j’te regarde!
JO-NATHAN : Pfff tu me dares? Checke-moi ben aller, sis.
Il se dirige vers l’amuseur.
JO-NATHAN (interrompant le spectacle) : YO.
Francine arrive aussi au milieu de la place et prend son frère par la main.
FRANCINE : Jo-Nathan! Ça se fait pas interrompre le monde de même! Excusez-nous, monsieur le feu, on vous dérangera plus…
Les égouts débordent dans les rues de la ville.
JO-NATHAN : C’est moi monsieur le feu, humf. Hé merde Franc, ça sent la cata dans l’air. C’tu moi?
Le téléphone de Francine sonne. C’est son amoureux.
FRANCINE : Ah, salut namour namour namour! Non, tu me déranges pas, je suis juste en train de déranger un amuseur public pis une foule, y’a rien de grave. Mais moi aussi, je t’aime namour namour namour! Ouais, non, attends deux minutes. Jo, c’est toi qui pues comme ça?
JO-NATHAN : Yo sis, c’est qui qui vole tout le temps le parfum à ton criss de chum tu penses? Tu penses que j’puerais moi? Une vedette du rap québ de même? Ta yeule… C’est ça, c’est ta gueule qui pue.
FRANCINE : T’es pas obligé de parler si t’as rien de pertinent à dire. Non, je te parle pas, namour namour namour! Ouais, s’cuse moi si je suis un peu à cran, j’ai comme toutes les pieds mouillés parce que les égouts débordent. Encore une niaiserie de Jo, je gage…
La foule s’impatiente et l’amuseur de feu menace un peu Francine.
FRANCINE : Jo, dis donc à monsieur le feu de se calmer la zoune!
JO-NATHAN : La zoune? Hey sis tu parles quelle langue merde? Mais ouais, je vais te défendre parce qu’on share le même blood. Mais tsé, tu m’en devras une quand la fin du monde approchera. (éclats de rire) Si t’es encore en vie, la vieille!
Il s’avance vers l’amuseur et lui crie des bêtises. L’amuseur comprend rien, hausse les épaules, s’en va dans l’eau sale. La foule continue de s’impatienter. Francine intervient.
FRANCINE : Oh, ça va, à un moment donné! Pis toi, Jo, arrête d’être pessimiste avec tes idées de fin du monde. Des plans pour me faire pleurer. Bon, namour namour namour, tu me disais quoi? Tu t’en viens? Je t’attends avec mes bras de chat tout beau! Miaou, miaou!
La foule s’impatiente encore et lance des objets. Pour la calmer, Francine lance son téléphone à son frère, qu’il attrape d’une main, prend le bâton de feu et le manie comme une championne. La foule se tait.
Court-circuit général : tous les appareils électriques et électroniques s’allument en même temps et ne répondent plus à aucune commande.
JO-NATHAN (criant vers le téléphone portable) : Hey Chris!? Tu m’apporterais-tu un truc à manger… (à sa sœur) Heille, ton beau Chris y a raccroché. Pus là. Vanished. Pus de Chris. Bout de cris.
Francine manie toujours le bâton de feu comme une vraie bombe. La foule est bouche bée.
FRANCINE : Normal, il aime ça faire son indépendant. Bon, tu viens-tu me donner un vrai coup de main pour se débarrasser de cette foule-là, ou tu continues de perdre ton temps? Il va falloir penser à aller chercher notre queue de castor avant de retourner chez nous, à un moment donné…
Jonathan, appâté par la promesse de queue de castor, « court » comme un jeune flanc mou peut courir.
JO-NATHAN (s’enfargeant dans ses pantalons et tombant sur Francine) : Oh crotte!
Francine échappe le bâton de feu. Une madame prend feu, mais Francine n’en fait pas de cas. Après tout, c’est la vie. Elle amène Jo plus loin.
FRANCINE : Écoute Jo, si je t’ai amené ici, c’est pour t’avouer le lourd secret qui pèse sur mes épaules. (prenant un air dramatique) J’ai peur que tu me rejettes si je te l’annonce tout cru de même…
JO-NATHAN : Hé sis, tu penses que j’ai pas des tas de secrets de necking dins toilettes pis de fumage dans chambre à m’man? Yo man, tu peux me dire n’importe quoi, je l’amène dans’ tombe, ton secret.
FRANCINE : Je… J’ai… Je suis tannée d’être une femme… Je pense que… Que je vais changer…
Un transport de zoo fait un accident : des dizaines de lions, de rhinocéros et de tigres sont relâchées dans la ville.
JO-NATHAN (incommodé par les bruits assourdissants) : Que tu vas charger? Charger qui, pour quoi? Charger comme un rhinocé… aaaah!
Un rhinocéros fonce sur eux, au beau milieu de la terrasse Dufferin. Francine, en bonne universitaire, dompte le rhino et le chevauche. Elle invite Jonathan à monter.
FRANCINE : Tu ne comprends pas, Jo, je veux changer… Être une femme, c’est trop dur… Trop compliqué… Je veux devenir…
JO-NATHAN : Fuck Francine, être une femme c’est top chill, tu te fais cruiser pis dédier plein de chansons rap… pis des smart dudes comme moi te raccompagnent chez vous. Pis tu peux… ouin… j’allais dire tu peux rapper aussi mais bon…
Francine et Jo-Nathan se promènent à dos de rhino sur la terrasse. Un lion passe par là et Francine le salue. Il lui retourne le bonjour.
FRANCINE : Écoute, c’est pas le fait d’être une femme femme qui me dérange… Mais d’être une femme humaine… Je pensais devenir une… une… une femme-truite, voilà… Christian-Emmanuel est en chemin pour amener le scalpel pis ce qu’il faut pour tout changer…
JO-NATHAN : Ayoye yo… ayoye yo… C’est vrai qu’j’t’ai toujours trouvée pas pire en moue de truite…
Les corbeaux semblent atteints du syndrome d’Hitchcock et sèment la panique.
Christian-Emmanuel surgit avec un scalpel. Il s’est taillé un chemin dans le troupeau d’animaux en lacérant un lion par-ci, un rhino par-là…
FRANCINE : Namour namour! Te voilà enfin! Vite, j’ai tellement hâte d’avoir des branchies! C’est à la mode, il paraît!
À ce moment, par le plus grand des hasards, Christian-Emmanuel se fait renverser par un assaut de corbeaux.
FRANCINE : Namour! NOOOON!
JO-NATHAN : Non, Francine, tu jumpes pas en bas, reste ici su’l rhino… Je te l’avais dit que c’tait la fin du monde. J’peux te changer en truite si tu veux, j’suis p’t’êt’ capable, j’ai passé mon cours de bio.
FRANCINE (séchant rapidement ses pleurs) : T’es sûr? Dans ce cas, je peux oublier Christian-Emmanuel. Voilà, c’est fait. C’est tellement pratique être une universitaire pour tout oublier facilement.
JO-NATHAN : Va falloir tu me donnes des trucs parce que man, j’oublie fuck all une fille que j’devrais oublier, yo.
Série de combustions spontanées.
JO-NATHAN : Man, le rhino! Pouf! Parti de même là! Tu me niaises, yo.
Autour d’eux, les animaux se volatilisent dans des fumées multicolores. Francine aurait dû le prévoir, ça arrive toujours les soirs de pleine lune…
FRANCINE : Trouvons-nous vite un endroit pour que je devienne une femme-truite! L’avenir est tellement plus beau quand on pense à la possibilité d’être pêchée! Mais pas repêchée comme dans ta ligue nationale plate…
JO-NATHAN : Heille sis-truite, le hockey c’tellement pus ça, moi c’est l’curling à c’t’heure. Mais yo, la place à queues de castors, on y va! Hue, rhino!
Toute la ville se met soudainement à pencher en angle jusqu’à ce que le sol soit à la verticale.
FRANCINE : Y’a pu de rhino, Jo! Woh, retient le plancher, ça penche! On s’en va rejoindre le fleuve! Tout s’effondre! On m’a pas parlé de ça dans mes cours de yoga universitaire à 300$!
JO-NATHAN : OK Francine, t’es une truite à c’t’heure, go, abracadachose-là, pis j’te monte pis on nage dans le fleuve. OK? (commençant à paniquer) Jusque chez nous, OK?
Francine, heureuse et truite, se fait chevaucher (rien de croche, là) par son frère. Ils vont rejoindre le fleuve.
FRANCINE: Blbblblblbllblblblblblbllblblblblbl
FIN
Voici les autres textes qui ont produit sous les contraintes imposées lors de la troisième période d’écriture du projet Huis clos à ciel ouvert :
La femme du portrait, de Jim Gagnon et Marie-Ève Muller;
En attendant l’autobus, de Treveur Petruzziello et Lily Pinsonneault.