Un rien ne bouge et je m’enroule en moi
Rien ne sert de manger
même si c’est bon et si c’est chaud et même si c’est en silence qu’on mâchera nos mots.
Rien ne sert de sourire
je tombe quand même.
Rien ne sert de sourire.
Un tout petit monde s’effrite dans une main
j’aurais voulu décrire cette main.
Rien ne sert de pleurer et pourtant
il y a une île qui se dérobe à moi
mon îlot
ma caresse
mon souffle d’émoi.
Je vais me manger la tête
je vais me manger.
Rien ne sert de manger de mâcher de pincer de griffer
je tombe quand même
dans un autre lieu juste derrière moi
je tombe quand même.
Les stores serrés
les fenêtres fendues
nous mangeons les lumières d’une ville.
Nous roulons notre sous-sol
dans les fonds vaseux d’une rivière asséchée
les stores serrés.
Nous avons laissé le robinet couler
une goutte sur un silence encrassé
les cerveaux en compote
un silence à la fois
et tous les silences se meurent
à la fois.
Et pourtant…
je n’ai peut-être pas mangé toutes mes têtes
encore.
Il y a peut-être
quelque part accroché au bout d’un rideau
un sourire
le long des plis.
Il y a peut-être
de la pâte à meubler les craques des fenêtres
de la pâte à sourire, de la pâte à peut-être
à s’en lécher les stores, à s’en péter les fenêtres.
La goutte
re-goutte.
Fenêtres brisées
murs confondus
nous léchons nos stores
et ce soir,
goutte par goutte
nous mangeons nos lumières.