Les bottes d’Ichi martèlent le sol de béton. Chaque pas résonne de plus en plus fort. Nana gémit. Elle ferme les yeux. Une larme coule jusqu’à son menton. Elle se recroqueville. Les lèvres d’Ichi sifflent. Du sang jaillit des oreilles de Nana. Une clé s’insère dans la serrure. Ichi ne siffle plus. Les oreilles de Nana ne saignent plus. La porte s’ouvre. Ichi sourit.
— 今晩は。ブス。
Nana ne comprend pas. Ichi s’approche d’elle. Il s’accroupit. Sa main caresse le cou de Nana, lui frotte la tête.
— Bonne fille.
Nana ne comprend pas. Elle se lève, s’avance vers la porte entrouverte. Elle la pousse avec son épaule. La porte grince. Ichi tire Nana par l’oreille. Nana glisse derrière lui. Ichi la frappe au visage. Nana hurle. Ichi se retourne, ferme la porte d’un puissant coup de pied. Nana s’assoit dans un coin. Elle pleure, elle crie. Elle fixe le mur, le gratte frénétiquement. Ichi frappe Nana derrière la tête.
— 貴様は俺の物だよ。
Ichi flatte la mâchoire de Nana. Nana tourne la tête vers Ichi. Elle garde les yeux baissés. Un collier pend au cou de Nana. Ichi y lit :
— Nana.
Nana lève les yeux. Ils brillent.
— Nana.
Ichi prend la tête de Nana à deux mains. Il colle sa bouche sur l’oreille de Nana. Il murmure :
— Sale chienne.
Les oreilles de Nana saignent. Les lèvres d’Ichi rougissent. Ichi s’étouffe. Il essuie sa bouche. Il pousse Nana au sol. Il crie de rage.
— ブス。
Il sort, verrouille la porte. Je veux réconforter Nana.
— Nana.
Mais elle ne m’entend pas. Je m’approche d’elle, appuie mon menton sur sa tête. Mais elle ne sent rien. Je m’éloigne. Ichi me tend un bol de pâtée. Il me regarde en silence. Je ne bouge pas.
— Mange.
Mais je ne veux pas manger. Je ne veux pas boire. Je ne veux pas lui obéir. Ichi me frappe.
— Mange.
Je tourne la tête vers Nana.
— Vas-tu lui obéir?
Mais elle ne répond pas. Je me retourne. Son bol est vide. Elle lui a déjà obéi. Mais pas moi. Mon corps repose sur le sol, inerte. Ichi me crie des insultes. Mes oreilles sont ensanglantées. Elles se détachent de ma tête. Elles tombent. Ichi marche dans une marée rouge. Il crie encore. Il nage dans le sang. Il se noie. Il revient voir Nana. J’entends ses bottes. Nana frissonne. Une clé fait tourner le verrou. La porte laisse passer Ichi. Nana tente de reculer. Elle est déjà au pied du mur. Ichi ne dit rien. Il ne fulmine pas. Ne frappe pas.
— Qui es-tu?
Ichi ne m’entend pas. Mais ce ne peut pas être lui. Ichi beuglerait. Il exploserait. Mais ce Ichi-là, qui est-il? Nana tremble toujours. Elle attend la colère d’Ichi. Mais sa colère ne vient pas. Ichi verse de l’eau dans un bol. De la pâtée dans un autre. Il sort un pot de crème de sa poche. Il s’approche de Nana. Il s’accroupit auprès d’elle. Nana pleure. Ichi met de la crème dans sa main. Il en applique sur les blessures de Nana. De l’onguent?
— Qui es-tu?
Ichi ne m’entend pas. Nana cesse de pleurer. Ses yeux sont écarquillés. Ichi lui frotte le ventre. Nana ne respire plus. Elle est une statue. Ichi ne la touche plus. Il essuie ses mains sur ses jeans.
— Un acheteur va venir te voir dans deux jours. Si tu veux sortir d’ici, mange et guéris.
Ah. Le Ichi qui prend soin de sa marchandise. Le Ichi qui veut vendre. Je n’ai pas eu le temps de le connaître. Il sort. Nana examine ses blessures, souffle dessus. Elles doivent brûler. Nana rampe jusqu’au bol d’eau. Elle en prend une gorgée. Elle soupire. Elle fixe le bol. Elle ne boit plus.
— Je ne sais pas quand tu en auras d’autre. Je n’ai jamais bu de cette eau-là. Mon bol est toujours resté plein.
Nana décide de prendre encore deux gorgées. Puis deux autres. Elle finit son bol. Je ne sais pas si elle m’a entendue. Nana s’allonge sur le dos. Elle respire fort. Elle tend le bras vers le second bol. Elle plonge la main dedans, empoigne un peu de pâtée. Elle en prend une bouchée. Elle grimace. Elle remet le reste dans le bol. Elle se tourne sur le côté et s’endort.
Ichi me donne un coup de pied dans les côtes. Je me réveille, reçois un coup sur la tête. Un sur l’épaule, la poitrine, encore les côtes, les tibias, le crâne. Je tire Ichi par les cheveux, lui crache au visage. Ichi me crible de coups de poings. Je me débats, frappe n’importe où. Du revers de la main, Ichi heurte mes tempes plusieurs fois. Je me rendors. Quand j’ouvre les yeux, je ne vois que ceux d’Ichi.
— Vas-tu m’obéir?
— Non.
— そうですね。
Ichi sort et verrouille la porte à jamais.
— Voici Nana.
Ichi désigne Nana de la main. Nana se tient droite.
— Elle est belle. Quel âge?
— Six ans.
Un coup de feu. Le corps de maman tombe dans la boue. Une balle a traversé sa tête. Ses oreilles saignent.
— Maman?
La pluie tombe sur son visage, nettoyant la boue. Mais le sang continue de couler. Le sol est rouge.
— Maman?
Je me couche sur elle. Je me mets à pleurer. Je m’accroche à elle. J’enfonce mes ongles dans sa chair. Mais deux bras m’agrippent. Ils m’arrachent à elle.
— Bonjour Nana. Tu es japonaise?
Nana hoche la tête.
— Ichi aussi est japonais. Mais c’est plutôt rare de trouver des petites japonaises comme toi à vendre dans le coin.
Nana ne répond rien.
— Où l’as-tu trouvée?
— Sous la pluie. À Nagoya.
— Alors elle parle japonais?
— Non. C’est une longue histoire.
— Tu parles français, Nana?
Nana hoche la tête. Mes ongles s’extirpent de la chair de maman. Je suis projetée au loin. Je patauge dans une flaque de sang. Je vois rouge. Ichi est rouge. Il porte ses mains à ma gorge. Je ne respire plus.
— Alors c’est toi la fille de cette pute.
Ichi resserre son étreinte. Chuchote à mon oreille.
— Tu vas souffrir.
Je me réveille seule sur un plancher de béton. J’essaie de sortir. La porte ne s’ouvre pas.
— Tu n’as qu’un choix à faire ici. Vas-tu m’obéir?
— Elle est vraiment belle.
— Hum. Alors elle vous intéresse?
— Beaucoup.
Je crache au visage d’Ichi.
— Nana. Ce monsieur vient de t’acheter. Tu es à lui maintenant.
Nana reste muette et immobile. Ichi désigne la porte.
— Sors d’ici avec lui.
Mais Nana refuse. Recule au plus profond de la pièce. Car c’est ainsi qu’elle s’est laissée dresser.