Trois hommes marchent. La neige tombe obliquement. Du plomb. Les gros flocons brouillent les silhouettes sombres et ployées qui progressent contre le vent. Le jour tombe aussi.
Un homme se tient derrière les deux autres, les mains dans les poches de son feutre, comme s’il les filait, marchant côte-à-côte. Procession silencieuse. On n’entend que le craquement de la neige sous leurs pas.
Un terrain vague. Plat. Il n’y a que quelques saules, qu’on distingue difficilement. C’est une mauvaise photo brouillée de points blancs. Il y a une tension. Comme une attente imprécise.
Tommy, l’homme derrière, commence à ressentir le fardeau de son manteau détrempé. Il pend désormais sur ses épaules. Ses oreilles deviennent rouges. Un nuage de vapeur monte, avant de se dissiper, au rythme de sa respiration.
Tout est blanc. Un no man’s land. Nulle part. Johnny et Franck ne se regardent même pas. Ils avancent avec peine d’un pas régulier. Il fait froid.
Johnny s’arrête. Tommy aussi. Franck se retourne, hésitant, avant de s’éloigner. On entend un coup de feu. Son écho se répercute. Puis un autre. Franck est mort.
Le sang chaud fume sur la neige. Johnny regarde Tommy. Au loin, une voiture apparaît sur la route qu’on ne voyait plus. Tommy range son arme dans son manteau. Les deux progressent en silence vers la voiture dont le moteur tourne. La neige craque tranquillement sous leurs pas. Les phares éclairent la neige blanche.
Tommy referme la portière arrière de la berline noire. Johnny prend place à l’avant. Le chauffeur repart aussitôt Johnny pousse le briquet du tableau de bord. Il se met deux cigarettes dans la bouche. Le briquet ressort en produisant un petit claquement. La lumière rouge se reflète sur le visage de Johnny et sur la fumée qu’il expire lentement. Il tend une cigarette à Tommy. Ils ne parlent pas.
Johnny s’éponge le visage avec son foulard. La neige qu’il a dans les cheveux fond et lui dégouline sur le front. Il fait chaud. Tommy baisse la fenêtre. Un vent frais et humide serpente entre les trois hommes.
Tommy tend son arme au chauffeur, qui la prend sans détourner la tête. Sans un mot. Il regarde obstinément la route dont on ne voit que quelques traces dans la neige blanche. Johnny observe le paysage qui défile à sa droite. On voit les lumières de la ville apparaître au loin.
Rapidement, elles défilent. L’atmosphère se teinte de jaune, de vert, de rouge. Le ciel clignote. Parfois on entend des klaxons qui brisent le silence. Les ronrons des moteurs feutrés comme la neige détrempée.
La voiture tourne lentement dans un stationnement. 19h00. Le bar. La berline s’arrête; le moteur cesse de tourner. Les trois hommes sortent. L’enseigne lumineuse clignote dans la nuit. On entend la musique. Des gens parlent. Des gars fument à l’entrée.
Johnny, Tommy et le chauffeur se dirigent vers la porte. On les salue d’un léger hochement de tête. Le chauffeur regarde les clients furtivement. Johnny et Tommy s’assoient au bar.
Il y a beaucoup de monde. Musique country. On commande trois bières. Le chauffeur enlève son manteau et s’assoit à son tour. Johnny et Tommy conservent le leur. On ne fait que passer.
Un homme vient serrer la main du chauffeur. Ils se dirigent tous les deux vers les toilettes. . Johnny va fumer. Tommy reste au bar. Le chauffeur, dans son bureau de fortune, faisait commerce d’une arme gênante.
Un client turbulent tape sur l’épaule de Tommy. Tommy détourne son attention du téléviseur muet, qu’il ne regardait pas vraiment. Le client lui dit de dégager dans une pluie de postillons. C’est sa place. Un nouveau client. Tommy l’écoute sans dire un mot : il a l’habitude des caïds du mois. Il prend sa bière, se lève et s’excuse. Il change de place.
Johnny revient. Il secoue ses bottes en passant la porte. Il se dirige vers Tommy. Il observe le client turbulent qui est maintenant à la place de Tommy. Il l’observe attentivement. L’observe sans broncher. L’autre le regarde aussi. Il n’a pas peur. Un nouveau client. Tommy donne un coup de coude discret à Johnny qui détourne finalement la tête.
Le chauffeur revient. Ils boivent leurs bières. Les amis du client turbulent le rejoignent. Viennent au bar. Le chauffeur jette un œil à Tommy. Tommy incline la tête dans leur direction. Le chauffeur considère brièvement la scène, avant de fixer la télé. Il a compris.
Tommy se lève en regardant ses deux amis. Le chauffeur met son manteau. Johnny sirote sa bière encore quelques secondes. Johnny est orgueilleux parfois. Le client turbulent, le nouveau. Celui qui parle fort. Celui que Johnny parvient difficilement à ne pas regarder. Il finit par se lever. On ne finira pas les bières. On partira.
Les trois ressortent. Johnny a l’air sombre. Il est en colère mais ne dit rien. On entre dans la voiture. Le chauffeur tend une liasse de billets à Johnny. Il se retourne et donne une nouvelle arme à Tommy, qui la met dans son pantalon. Johnny compte l’argent. Il en donne la moitié à Tommy.
On dépose d’abord Johnny. La berline noire ralentit devant un immeuble. Tommy sort. Il entre dans son appartement. Un enfant s’approche. Où t’étais papa? Où t’étais? Papa a été prendre une bière avec ses amis! Et Tommy prend le petit garçon dans ses bras et l’embrasse, avant d’enlever son manteau.