Ces textes ont été écrits sous contraintes dans le cadre du Cabinet des idées reçues tenu au Musée National des beaux-arts du Québec le 30 mars 2012, pendant la Nuit de la création.
Le poids du monde
Contrainte
À la manière de : Perec
Il marche. Ses pas sont lourds. Très lourds. Trop lourds. Tellement trop lourds. Ça brise le bois, des échardes aux pieds de ceux qui suivent. Il marche et la terre tremble. Et son cœur. Bientôt, plus de plancher, il aura tout ravagé. Ne restera alors qu’une béance, un trou noir engloutissant ceux qui s’approchent trop.
Devant lui, la légèreté. Elle fuit, l’empêche d’être. Et quand tout le monde sera tombé dans ce vide immense qui grandit derrière lui, à chacun de ses pas, lui sera toujours là, mais ne sera toujours pas. Démarche trop lourde pour espérer un jour atteindre la légèreté.
Ne sachant que faire d’autre, il marche. Ses pas sont lourds. Tellement trop lourds.
*
Dans les étoiles
Contraintes
Personnage : Stéphane
Espace : Station spatiale internationale
là-bas
très loin
une bille
la Terre
Stéphane observe la planète, déçu, triste même, d’être incapable de l’écraser entre ses doigts. L’écrabouiller, la supprimer d’une seule petite pression du pouce et de l’index, comme une vulgaire fourmi. La Terre. Une sphère inutile et oppressante de gravité.
là-bas
le devoir de retomber
le culte de la chute
tout finit par se fracasser
les corps
les cœurs
les idées
Stéphane regrette qu’on l’ait envoyé sur la Station spatiale internationale pour un si bref périple. Se tenir en apesanteur, avoir l’impression de n’être rien et d’être tout. Ne pas sentir le poids qui accable nos épaules, qui use notre peau, qui brise nos os.
ici
au milieu des étoiles
le silence de l’immensité
la légèreté
l’envie de vivre encore
vivre encore
Stéphane a la nausée. Trop vite, il sera de retour sur Terre, parmi ces humains, vilaine vermine qui parle trop, bouge trop. Respire trop. Ça l’agace terriblement, sentir le souffle chaud d’un étranger sur sa peau. L’haleine de l’autre qui se colle à lui, s’incruste dans ses pores. Parasite.
là-bas
les odeurs
les printemps parfumés de merde
la pestilence des oublis
les fumées suffocantes
l’enfer qui transpire
qui exsude
qui exulte
l’enfer
Stéphane sait qu’il ne peut échapper au voyage de retour. À moins que… à moins qu’il trouve un soleil où périr, un trou noir où disparaître. Et si l’espace décidait de le recracher, il y aura toujours, sur Terre, un trou d’eau où se noyer.
là-bas
la Terre
des lacs des rivières des océans
tant de miroirs
pour toucher
la voûte constellée
*
Jules César
Contrainte
Personnage : Jules César
Caius Julius Caesar
au fil du temps
versé des tonnes de sang
conquêtes gloires et triomphes
venu
vu
vaincu
puis une conspiration
Brutus le traître
et des poignards
et la mort
Imperator Caius Julius Caesar Divus
assassiné
versé des tonnes de sang
mais son souvenir
perpétué
ave Cesar.
*
là où l’œil se pose
Contrainte
Mot ou phrase : Je jure que… ou alors…
je jure que je ne fermerai jamais les yeux
devant la fragilité d’un lys recroquevillé
dans la langueur du crépuscule
devant l’histoire ancestrale d’un saule
assoupi sous un ciel aux couleurs de l’aube
devant la grâce d’une fougère qui choisit le silence
et dévoile la dentelle de ses formes
devant les frémissements d’un lac
sous les baisers de la lumière chaude
je jure que mes paupières
combattront l’envie de retomber grand fracas
résisteront à l’assaut des lourdes ténèbres grande noirceur
demeureront impassibles devant l’éternité mordante chair douloureuse
ne faibliront pas même sous les horizons inondés de soleil les yeux toujours ouverts
ou alors
un temps opaque
déployé sur les herbes folles
et ma mort
de n’avoir pu supporter
la beauté du monde