Le rêve d’un Québec libre est mort. Vive le Québec?
J’ai longtemps attendu avant de prendre la parole. Je m’étais promis, en fait, de ne plus m’impliquer directement dans toutes ces formes de mouvements qui cherchent à améliorer le sort de la collectivité. Après un passage animé au sein d’organismes étudiants, mon intérêt pour ce genre de chose s’est effondré et mon cynisme n’a fait que grandir. J’en avais un peu marre de recevoir des insultes et d’être l’objet du mépris de certains pour une implication bénévole qui, au final, ne me rapporterait rien à moi. Je m’impliquais pour les autres, j’en étais fier, jusqu’au jour où cette implication m’a valu une réputation imméritée de violent revendicateur, de contestataire et de revendicaliste. Pour se trouver un emploi, ce n’est pas une réputation enviable.
C’est à la suite d’une pseudo-querelle familiale au sujet de la grève étudiante que j’ai compris que mon inaction me rendait encore plus malade que la prise de parole. J’en ai même développé des tics nerveux tellement j’ai gardé mes déceptions et mes craintes en moi depuis dix ans. Oh, je me suis exprimé déjà, certes, mais jamais avec la même ferveur qu’à la fin de mon adolescence, quand je croyais encore que nous formions une belle société au Québec, une nation dont on peut et on doit être fier. Franchement, aujourd’hui, je n’aspire plus qu’à trouver une nation où les droits individuels et privés ne surpassent pas ceux de la collectivité. Je cherche encore. Trop cynique pour y croire vraiment.
Je regarde mon Québec… non : je regarde le Québec, car j’en suis désormais complètement aliéné, je regarde le Québec et je ne vois plus rien à quoi me rattacher. Je ne vois plus ce beau drapeau bleu marqué de quatre fleurs de lys et barré d’une croix blanche. Je vois un bout de tissu made in China, qu’on pourrait brûler sans que quiconque réagisse. Je vois un gouvernement qui entame un programme évident de commercialisation du savoir, au mépris du savoir lui-même, et qui rejette de plus en plus le communautaire au profit des intérêts individuels d’une poignée d’élus, à la tête d’une marée de gens ordinaires, béats d’admiration, caressant le rêve américain, même s’ils ne le vivront jamais. Il est plus facile de défendre les droits de ceux qui brandissent la carotte que d’accorder du crédit à ceux qui remarquent que ladite carotte est moisie.
Je ne vois plus non plus la fierté de la langue française qui m’animait autrefois, malgré que j’écrive encore parfois en faisant plus de fautes que je ne voudrais l’admettre. Je ne maîtrise pas toutes les règles de grammaire (ces participes avec avoir et être m’emmerdent toujours). N’empêche, je suis fier de parler français, cette langue qui est la mienne. Et pourtant, aujourd’hui, j’en suis réduit à me demander quelle langue je pourrais apprendre pour m’en aller le plus loin possible de cette province franglaise, incapable de se doter d’un projet collectif qui n’implique pas un amphithéâtre ou une équipe de hockey. La fierté sociale? Non merci! La fierté sportive par contre, ça, ça doit être défendu.
Pouvons-nous seulement encore parler du Québec? Est-on encore ce peuple qui, content de s’être affranchi de l’église et de s’être tourné vers la raison, le sens critique et le bien commun, a réussi, pendant des dizaines d’années, à se démarquer, tant sur le plan économique que sur celui du savoir? Est-on encore seulement une nation? Quand je vois la guéguerre qui fait rage entre Montréal, Québec et le reste de la province (i.e. les « régions »), j’en doute. Quand j’assiste à la dilapidation de nos ressources naturelles dans des projets de dizaines de milliards de dollars, un peu comme à l’époque où nous vendions notre fer « une cenne la tonne », j’en doute. Quand j’entends ces discours de droite et de gauche qui se radicalisent et qui engendrent des conflits entre les forces de l’ordre et la populace, énervée par cette situation, mais pas encore aussi cynique que moi, j’en doute. La seule chose dont je suis certain en fait, c’est que nous sommes les meilleurs artisans de notre propre destruction.
Que nous reste-t-il du Québec d’autrefois? Quelques immeubles sans doute. Le gouvernement? Est-ce encore un gouvernement? Une démocratie? Je vois surtout une bureaucratie soucieuse de garder le contrôle pour ne pas perdre ses acquis.
Voilà déjà plusieurs paragraphes que je radote pour ne rien dire. Je n’ai pas de chiffres à donner, seulement des sentiments, des impressions. Ça doit en décevoir beaucoup, qui ne marqueront pas de me le faire savoir en usant d’un discours des plus polis. Je ne prétends pas avoir de solutions. J’ai des craintes. Beaucoup de craintes pour le futur du Québec, qui n’ont rien à voir avec l’économie. Des craintes quant à l’idéologie anti-intellectuelle qui gagne du terrain et qui menace notre société. Un danger beaucoup plus grand qu’on ne veut l’admettre. Si on écoutait nos dirigeants, on ne retiendrait pas grand-chose de notre époque dans les livres d’histoire qui seront écrits plus tard. Quelques données, des statistiques, peut-être quelques épisodes numérisés de Star Académie et du Banquier. Qu’est-ce qu’on veut laisser comme trace dans l’histoire? Un beau brun (je parle du billet, évidemment)? Est-ce qu’on ne retiendra de notre époque qu’une série de faits divers et quelques références à la dégradation de la pensée critique et du bien collectif? Un budget équilibré et une paire de souliers neufs?
Pourquoi est-ce que je prends la parole au juste? Personne ne changera d’idée en me lisant, ni n’entamera un dialogue ouvert avec le gouvernement et la « droite politique ». Quelques-uns liront ce texte en diagonale et tomberont sur ce paragraphe, par hasard. Ils pourront dire ensuite « too long, didn’t read » en se croyant bien drôles. D’autres ne liront pas et commenteront tout de même, en affirmant adroitement que les étudiants doivent faire leur juste part, qu’il en va du bien de l’économie, alors qu’au final, on parle de quelques millions dans une mer de milliards mal investis par ce même gouvernement qu’ils tentent de justifier. On parle du courage de ce gouvernement alors qu’il opte pour la solution facile, celle qui a le mérite de s’attaquer aux plus faibles, à ceux qui sont détestés par une grande partie de la population pour des raisons qui n’ont rien à voir avec les impôts ou la logique. Une autre guéguerre générationnelle et idéologique à laquelle on donne un goût de conflit économique, parce que c’est plus facile à justifier. Après tout, les étudiants coûtent cher aux « cochons de payeurs », pour citer la grande et bioutifulle radio de Québec. Oui, mais un peu moins que les pensions de retraite, que les soins aux fumeurs et aux mangeurs quotidiens de poutine. Tiens, une idée comme ça : optons pour l’euthanasie obligatoire dès la retraite et pour le refus des soins aux cancéreux des poumons et du colon. Après tout, je ne veux pas payer pour eux avec mes impôts! Mes impôts ne devraient pas servir ce genre de mesures complètement inutiles, non? J’espère que vous comprendrez que je suis sarcastique (mieux vaut préciser, tout de même).
Quoi qu’il en soit, voilà, j’ai parlé; pour ne rien dire, ne rien offrir de « concret ». Comme tout bon gaugauchiste-marxiste-separatist-communiste-élitiste-intellectualeux-syndicaleux que je suis. Je n’ai pas la prétention d’avoir une solution aux problèmes du Québec. Ma voix n’est pas celle d’un comptable, d’un politicien ou d’un grand philosophe. C’est celle d’un chargé de cours dans le domaine de l’administration, d’un formateur en bureautique et… d’un doctorant en littérature (ouf, ma crédibilité vient d’en prendre un coup, pas vrai?). Tout ça n’a servi qu’à exprimer mes angoisses face au futur de notre société, de notre « pays », de « mon » Québec, mais aussi de mes enfants, qui devront, un jour, grandir dans cet environnement. Je vois l’héritage qu’on leur laissera et je pleure. Une société inéquitable, où l’argent est roi, où l’erreur n’est pas permise, où le savoir n’a de valeur qu’en dehors de son application pratique, où la culture doit refléter la pensée politique dominante du moment, si on peut encore parler de culture dans ces conditions.
J’ai peur pour l’avenir, j’angoisse pour le présent, et contrairement aux romantiques, je ne rêve pas à propos d’un passé plein de bonheur illusoire. Je ne vois rien de bon dans le monde actuel, je suis désabusé des cheveux aux orteils. Il ne me reste qu’une dose de cynisme, des cauchemars et beaucoup d’acidité gastrique due au stress. Surtout qu’après avoir pris la parole de nouveau, après avoir osé exprimer mes « opinions », j’angoisse pour mes charges de cours présentes et futures, pour mes demandes d’emploi, pour ma réputation, que je tente de rebâtir depuis mon passage dans les comités étudiants. N’est-ce pas étrange que, dans cette société dite libre, j’aie aussi peur de prendre la parole? Je deviens sans doute parano.
Je n’ai pas relu ni corrigé ce texte. C’est de l’instantané, du condensé d’angoisse impossible à diluer. Je n’ai pas le cœur de réviser pour les fautes, d’améliorer le style ou d’ajouter de grandes citations philosophiques. Mon cœur est mort. Trop poétique comme métaphore? Alors disons que je n’ai plus l’impression d’exister en tant qu’humain. Je me sens plutôt comme une machine inutile qui se débat, en vain, contre la pensée utilitariste dominante qui ne voit en moi qu’une pompe à fric.
Au final, à quoi bon s’indigner. Le Canadien vient d’en gagner deux de suite. C’est le temps de célébrer.