J’utilise la photographie numérique en partant de la réalité pour ensuite m’en détacher.
Comme si la photographie – médium synonyme de réalisme, de rendu – devait être détournée. Les objets montrés n’ont aucune valeur pour eux-mêmes; tuyaux rouillés, grilles d’un portail, ou encore vitrine de magasin. Le choix de ces représentations est arbitraire, dépend totalement du hasard, ce sont des détails empruntés à une promenade, à un trajet quotidien ou à des voyages en France ou à l’étranger. Cette série ne donne pas à voir des paysages ou des personnages esthétiquement beaux, mais plutôt des objets du quotidien magnifiés. Les photographies ne cherchent pas à rendre compte d’une époque ou d’un pays. Ces photos ont été prises dans des lieux, pays et contextes très différents et ne représentent que des détails qui pourraient se retrouver en tout lieu. Il s’agit ici de partir du quotidien, du banal, pour en faire un objet d’attention et lui donner son importance. Ces représentations n’ont d’intérêt que dans leur ensemble, dans le fait de combiner ces objets du quotidien (toit, vitrine, etc.) avec ce qui les entoure, combinaison homogène grâce à la couleur et la composition. Cette série se veut comme un hommage aux théories sur la peinture de Kandinsky[1]. À partir de 1910, la composition devient pour Kandinsky le but ultime de la création artistique. On le voit entre autres dans le fait que des formes géométriques strictes dominent l’espace de ses toiles.
En décembre 1911, il organise la première exposition de la rédaction de « l’Almanach du Blaue Reiter ». Il affirme la dissociation de la peinture et du sujet. Le mot composition se substitue aux titres habituels de ses tableaux. Il écrit alors que « créer une œuvre, c’est créer un monde[2] ». Ce monde n’est pas à l’image du réel, mais est une création pure, ne répondant qu’à « la nécessité interne au tableau ». Je cherche, dans ces photos, une correspondance des couleurs et des formes. Dans cet espace d’expression, je souhaite géométriser la réalité, pour donner à mes photos une vision sans profondeur. Couleurs et formes déterminent des impressions particulières, véhiculent des sensations et des sentiments différents. Au bleu mystique et froid s’opposent le jaune chaud et agressif, le vert paisible, les différents silences des blancs et des noirs, la passion du rouge, couleurs que Kandinsky met en relation avec ronds, triangles et carrés, lignes ouvertes ou fermées.
Ma photographie est abstraite et lyrique; la composition et la couleur en sont les véritables sujets.
[1] Voir entre autres : Vassily Kandinsky ([1910] 1989), Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier, Paris, Gallimard (Folio Essai) et Vassily Kandinsky ([1926] 1991), Point, ligne, plan, Paris, Gallimard (Folio Essai).
[2] Kandinsky, Du spirituel dans l’art, op. cit..